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— Cela me passionne. Pense donc, Josine, pense donc que, de proche en proche, par les confidences de trois vieillards qui se sont transmis le flambeau, nous remontons à plus d’un siècle, et que, de là, nous nous rattachons à une légende, que dis-je, à un secret formidable qui date du Moyen âge. La chaîne ne s’est pas rompue. Tous les maillons sont en place. Et, dernier anneau de cette chaîne, voilà que Beaumagnan apparaît. Qu’a-t-il fait, Beaumagnan ? Faut-il le déclarer digne de son rôle, ou l’en déposséder ? Dois-je m’associer à lui ou lui arracher le flambeau ?

L’exaltation de Raoul convainquit la Cagliostro qu’il ne lui permettrait pas de s’interrompre. Elle hésitait cependant, car les paroles les plus importantes peut-être, en tout cas les plus graves, puisqu’il s’agissait de son rôle, n’avaient pas été prononcées. Mais il lui dit :

— Continue, Josine. Nous sommes sur une route magnifique. Marchons ensemble, et nous toucherons ensemble la récompense qui est à portée de nos mains.

Elle continua :

— Beaumagnan s’explique d’un mot : c’est un ambitieux. Dès le début, il a mis sa vocation religieuse, qui est réelle, au service de son ambition, qui est démesurée, et l’une et l’autre l’ont conduit à se glisser dans la Compagnie de Jésus où il occupe un poste considérable. La découverte du mémoire le grisa. Les vastes horizons s’ouvraient devant lui. Il parvint à convaincre certains de ses supérieurs, les enflamma pour la conquête des richesses, et il obtint qu’on fit jouer en faveur de son entreprise toutes les influences dont les Jésuites disposent.

» Aussitôt il groupa autour de lui une douzaine de hobereaux plus ou moins honorables et plus ou moins endettés, auxquels il ne dévoila qu’une partie de l’affaire, et qu’il organisa en une véritable association de conspirateurs prêts à toutes les besognes. Chacun eut son champ d’action, chacun sa sphère d’investigations. Beaumagnan les tenait par l’argent dont il est prodigue.

» Deux années de recherches minutieuses aboutirent à ces résultats qui ne sont pas négligeables. Tout d’abord on sut que le prêtre décapité s’appelait le frère Nicolas, trésorier de l’abbaye de Fécamp. Ensuite à force de fouiller les archives secrètes et les vieux cartulaires, on découvrit des correspondances curieuses échangées jadis entre tous les monastères de France, et il parut établi que, depuis un temps très reculé, il y avait une circulation d’argent qui était comme une dîme payée bénévolement par toutes les institutions religieuses, et recueillie par les seuls monastères du pays de Caux. Cela semblait constituer un trésor commun, une réserve inépuisable en vue d’assauts possibles à soutenir ou de croisades à entreprendre. Un conseil de trésorerie, composé de sept membres, gérait ces richesses, mais seul l’un d’eux en connaissait l’emplacement.

» La Révolution avait détruit tous ces monastères. Mais les richesses existaient. Le frère Nicolas en avait été le dernier gardien. »

Un grand silence prolongea les paroles de Joséphine Balsamo. La curiosité de Raoul n’avait pas été déçue, et il éprouvait une vive émotion.

Il murmura avec un enthousiasme contenu :

— Que tout cela est beau ! Quelle magnifique aventure ! J’ai toujours eu la certitude que le passé avait légué au présent de ces trésors fabuleux dont la recherche prend inévitablement la forme d’un insoluble problème. Comment en serait-il autrement ? Nos ancêtres ne disposaient pas comme nous des coffres-forts et des caves de la Banque de France. Ils étaient obligés de choisir des cachettes naturelles où ils entassaient l’or et les bijoux, et dont ils transmettaient le secret par quelque formule mnémotechnique qui était comme le chiffre de la serrure. Qu’un cataclysme survînt, le secret était perdu, et perdu le trésor si péniblement accumulé.

Son effervescence croissait et il scanda joyeusement :

— Celui-là ne le sera pas, Joséphine Balsamo, et c’est l’un des plus fantastiques. Si le frère Nicolas a dit vrai, et tout l’atteste, si les dix mille pierres précieuses ont été glissées dans l’étrange tirelire, c’est à quelque chose comme un milliard de francs qu’il faudrait évaluer ces biens de main-