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qu’à se présenter. Enveloppée de sa voilette, elle traversa légèrement la cour et pénétra dans la maison.

Du coup Raoul avait reconquis toute sa tranquillité. Son cœur se calma. Il était prêt à combattre ce deuxième adversaire, comme il avait combattu le premier, avec des armes différentes, mais tout aussi efficaces. Il appela Valentine à mi-voix et lui dit :

— Quoi qu’il arrive, pas un mot. Il y a contre Brigitte Rousselin un complot que je veux déjouer. Voici l’un des complices. Le silence absolu, n’est-ce pas ?

La servante proposa :

— Je peux aider, monsieur… courir chez le commissaire…

— À aucun prix. L’affaire, si elle était connue, risquerait de tourner mal pour votre maîtresse. Je réponds de tout, mais à condition qu’aucun bruit ne vienne de cette chambre, aucun !

— Bien, monsieur.

Raoul ferma les deux portes de communication. Ainsi la pièce où se trouvait Brigitte Rousselin et celle où la partie allait se jouer entre Josine et lui étaient nettement séparées. Comme il le désirait, aucun bruit ne pouvait passer de l’une à l’autre.

À ce moment, Joséphine Balsamo débouchait du palier. Elle le vit.

Et elle reconnut aux vêtements le corps ficelé de Léonard.

Raoul immédiatement eut la notion exacte de ce que Joséphine Balsamo pouvait, à certaines minutes graves, avoir d’empire sur elle-même. Loin de s’effarer en constatant la présence inattendue de Raoul et le désordre d’une pièce où Léonard était captif, elle commença par réfléchir, dominant ses nerfs de femme et l’agitation qui la secouait, et il était facile de comprendre qu’elle se demandait :

— Qu’est-ce que cela veut dire ? Que fait Raoul ici ? Qui donc a ligoté Léonard ?

À la fin, retirant sa voilette, elle demanda simplement, car c’était là, en toute certitude, ce qui la tourmentait le plus :

— Pourquoi me regardes-tu ainsi, Raoul ?

Il mit un certain temps à lui répondre. Les mots qu’il allait prononcer étaient effrayants et il la dévisageait pour ne pas perdre un seul tressaillement de ses muscles ni un seul clignotement de ses yeux. Il murmura :

— Brigitte Rousselin a été assassinée.

— Brigitte Rousselin ?

— Oui, l’actrice d’hier soir, celle au bandeau de pierreries, et tu n’oseras pas dire que tu ne sais pas qui est cette femme, puisque tu es ici, chez elle, et puisque tu as chargé Léonard de t’avertir, aussitôt la besogne faite.

Elle parut bouleversée.

— Léonard ? Ce serait Léonard ?

— Oui, affirma-t-il. C’est lui qui a tué Brigitte. Je l’ai surpris qui la tenait au cou de ses deux mains.

Il la vit qui tremblait, et elle tomba assise en balbutiant :

— Ah ! le misérable !… le misérable… est-il possible qu’il ait fait cela ?

Et, plus bas encore, avec une épouvante qui croissait à chaque mot :

— Il a tué… il a tué… Est-ce possible ! Il m’avait pourtant juré que jamais il ne tuerait… il me l’avait juré… Oh ! je ne veux pas croire…

Était-elle sincère, ou jouait-elle la comédie ? Léonard avait-il agi sous le coup d’une folie subite, ou d’après les instructions qui lui ordonnaient le crime quand la ruse échouait ? Questions redoutables que Raoul se posait sans pouvoir y répondre.

Joséphine Balsamo releva la tête, observa Raoul de ses yeux pleins de larmes, puis brusquement se jeta sur lui, les mains jointes.

— Raoul… Raoul… pourquoi me regardes-tu ainsi ? Non… non… n’est-ce pas ? tu ne m’accuses pas ? Ah ! ce serait terrible… Tu pourrais croire que je savais ?… que j’ai commandé ou permis ce crime abominable ?… Non… Jure-moi que tu ne crois pas. Oh ! Raoul… mon Raoul…

Un peu brutalement, il la contraignit à s’asseoir. Ensuite il repoussa Léonard dans l’ombre. Et, après avoir fait quelques pas de long en large, il revint vers la Cagliostro et la saisit à l’épaule :

— Écoute-moi, Josine, prononça-t-il lentement, d’une voix qui était celle d’un accusateur, et même d’un adversaire beaucoup plus que d’un amant, écoute-moi. Si, d’ici une demi-heure, tu n’as pas fait la pleine clarté sur toute cette affaire, et sur les machinations secrètes qui la compliquent, j’agis envers toi comme envers une ennemie mortelle, de gré ou de force je t’éloigne de cette maison, et sans la moindre hésitation je vais dénoncer au plus proche commissariat de police le crime que ton complice Léonard vient de commettre sur la personne de Brigitte Rousselin… Après quoi, tu te débrouilleras. Veux-tu parler ?