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Joséphine Balsamo ne bougeait pas. Raoul remarqua sa figure décomposée que l’angoisse contractait et vieillissait.

Il lui dit :

— Vite ! il faut que vous changiez de vêtements. Mettez une de vos autres robes… une noire de préférence.

Il retourna vers la fenêtre, d’où il vit au-dessous de lui les policiers et les gendarmes qui s’entretenaient dans le jardin. Quand elle eut fini de s’habiller, il saisit la robe grise qu’elle venait de quitter et s’en revêtit. Il était mince, de taille svelte : la robe dont il baissa la jupe afin de recouvrir ses pieds lui allait à merveille, et il semblait si ravi de ce déguisement et si tranquille, que la jeune femme parut se rassurer.

— Écoutez-les, dit-il.

On distinguait nettement la conversation que tenaient les quatre hommes au seuil de la salle, et ils entendirent l’un d’eux — un des gendarmes sans doute — qui demandait d’une grosse voix traînante :

— Vous êtes bien certains qu’elle habitait là, à l’occasion ?

— Sûrs et certains. La preuve… deux de ses malles qu’elle y a laissées en dépôt, et dont l’une porte son nom : Mme Pellegrini. Et puis, la mère Vasseur est une brave femme, n’est-ce pas ?

— Plus brave que la mère Vasseur, il n’y en a pas ; on la connaît dans toute la région !

— Eh bien ! la mère Vasseur déclare que cette dame Pellegrini venait de temps à autre passer quelques jours chez elle.

— Parbleu ! entre deux coups de cambriole.

— Tout juste.

— Alors ce serait une bonne capture que la dame Pellegrini ?

— Excellente. Vols qualifiés. Escroqueries. Recel. Bref tout le diable et son train… sans compter des tas de complices.

— On a son signalement ?

— Oui et non.

— On a deux portraits qui sont tout différents. L’un d’eux est jeune, l’autre vieux. Quant à l’âge, c’est marqué entre trente et soixante.

Ils éclatèrent de rire, puis la grosse voix reprit :

— Mais vous êtes sur la piste ?

— Oui et non. Il y a quinze jours elle opérait à Rouen et à Dieppe. Là on perd sa trace. On la retrouve sur la grande ligne du chemin de fer, et on la perd de nouveau. A-t-elle continué vers Le Havre ou bifurqué vers Fécamp ? Impossible de le savoir. Disparition totale. Nous pataugeons.

— Et ici, pourquoi êtes-vous venus ?

— Le hasard. Un employé de la gare, qui avait roulotté jusque-là, s’est souvenu de ce nom de Pellegrini, inscrit sur l’une d’elles à un endroit caché par une étiquette qui s’était décollée.

— Vous avez interrogé d’autres voyageurs, des clients de l’auberge ?

— Oh ! les clients sont rares ici.

— Il y a toujours bien une dame que nous avons avisée tout à l’heure en arrivant.

— Une dame ?

— Pas d’erreur. Nous étions encore à cheval quand elle est sortie de la maison, par cette porte. Même qu’elle y est rentrée d’un coup comme si elle ne voulait pas être vue.

— Impossible !… une dame dans l’auberge ?…

— Une particulière en gris. Pour ce qui serait de la reconnaître, non. Mais la couleur de la robe, oui… Et le chapeau aussi… un chapeau avec des fleurs violettes…

Les quatre hommes se turent.

Toute cette conversation, Raoul et la jeune femme l’avaient écoutée sans un mot, les yeux dans les yeux. À chaque preuve nouvelle, le visage de Raoul devenait plus dur. Elle, pas une fois, ne protesta.

— Ils viennent… ils viennent… prononça-t-elle sourdement.

— Oui, dit-il. C’est le moment d’agir… Sinon, ils montent et vous trouvent dans cette chambre.

Elle avait gardé son chapeau. Il le lui enleva et s’en coiffa, rabattant un peu les ailes pour bien dégager les fleurs violettes, et nouant les brides autour de son cou, ce qui lui masquait le visage. Puis il donna ses dernières instructions.

— Je vais vous ouvrir le chemin. Dès qu’il sera libre, vous vous en irez tranquillement par la route jusqu’à la cour de ferme où votre voiture est garée. Prenez-y place, et que Léonard ait les guides en main…