Page:Leblanc - La Comtesse de Cagliostro, paru dans Le Journal, 1923-1924.djvu/3

Cette page a été validée par deux contributeurs.

d’enlèvement, projet de jugement illégal, et même, Dieu me pardonne ! projet d’assassinat. Fichtre ! mon futur beau-père, si dévot qu’il soit, me semble empêtré dans des combinaisons peu catholiques. Ira t-il jusqu’au meurtre ? Tout cela est rudement grave et pourrait bien me donner barre sur lui.

Raoul se frotta les mains. L’affaire lui plaisait et ne l’étonnait pas outre mesure, quelques détails ayant éveillé son attention depuis plusieurs jours. Il résolut donc de retourner à son auberge, d’y dormir, puis de s’en revenir à temps pour apprendre ce que complotaient le baron et ses invités, et quelle était cette « créature infernale » dont on souhaitait la suppression.

Il remit tout en ordre, mais, au lieu de partir, il s’assit devant un guéridon où se trouvait une photographie de Clarisse, et, la mettant bien en face de lui, la contempla avec une tendresse profonde. Clarisse d’Étigues, à peine plus jeune que lui !… Dix-huit ans ! Des lèvres voluptueuses… les yeux pleins de rêve… un frais visage de blonde, rose et délicat, avec des cheveux pâles comme en ont les petites filles qui courent sur les routes du pays de Caux, et un air si doux, et tant de charme !…

Le regard de Raoul se faisait plus dur. Une pensée mauvaise qu’il ne parvenait pas à dominer, envahissait le jeune homme. Clarisse était seule, là-haut, dans son appartement isolé, et deux fois déjà, se servant des clefs qu’elle-même lui avait confiées, deux fois déjà, à l’heure du thé, il l’y avait rejointe. Alors qui le retenait aujourd’hui ? Aucun bruit ne pouvait parvenir jusqu’aux domestiques. Le baron ne devait rentrer qu’au cours de l’après-midi. Pourquoi s’en aller ?

Raoul n’était pas un Lovelace. Bien des sentiments de probité et de délicatesse s’opposaient en lui au déchaînement d’instincts et d’appétits dont il connaissait la violence excessive. Mais comment résister à une pareille tentation ? L’orgueil, le désir, l’amour, le besoin impérieux de conquérir, le poussaient à l’action. Sans plus s’attarder à de vains scrupules, il monta vivement les marches de l’escalier.

Devant la porte close, il hésita. S’il l’avait franchie déjà, c’était en plein jour, comme un ami respectueux. Quelle signification, au contraire, prenait un pareil acte à cette heure de la nuit !

Débat de conscience qui dura peu. À petits coups, il frappa, tout en chuchotant :

— Clarisse… Clarisse… c’est moi.

Au bout d’une minute, n’entendant rien, il allait frapper de nouveau et plus fort, quand la porte du boudoir fut entrebâillée, et la jeune fille apparut, une lampe à la main.

Il remarqua sa pâleur et son épouvante, et cela le bouleversa au point qu’il recula, prêt à partir.

— Ne m’en veux pas, Clarisse… Je suis venu malgré moi… Tu n’as qu’à dire un mot et je m’en vais…

Clarisse eût entendu ces paroles qu’elle eût été sauvée. Elle aurait aisément dominé un adversaire qui acceptait d’avance la défaite. Mais elle ne pouvait ni entendre ni voir. Elle voulait s’indigner et ne faisait que balbutier des reproches indistincts. Elle voulait le chasser et son bras n’avait pas la force de faire un seul geste. Sa main qui tremblait dut poser la lampe. Elle tourna sur elle-même et tomba, évanouie…


Ils s’aimaient depuis trois mois, depuis le jour de leur rencontre dans le Midi où Clarisse passait quelque temps chez une amie de pension.

Tout de suite, ils se sentirent unis par un lien qui fut, pour lui, la chose du monde la plus délicieuse, pour elle, le signe d’un esclavage qu’elle chérissait de plus en plus. Dès le début, Raoul lui sembla un être insaisissable, mystérieux, auquel, jamais, elle ne comprendrait rien. Il la désolait par certains accès de légèreté, d’ironie méchante et d’humeur soucieuse. Mais à côté de cela, quelle séduction ! Quelle gaieté ! Quels soubresauts d’enthousiasme et d’exaltation juvénile. Tous ses défauts prenaient l’apparence de qualités excessives et ses vices avaient un air de vertus qui s’ignorent et qui vont s’épanouir.

Dès son retour en Normandie, elle eut la surprise d’apercevoir, un matin, la fine silhouette du jeune homme, perchée sur un mur, en face de ses fenêtres. Il avait choisi une auberge, à quelques kilomètres de distance, et ainsi, presque chaque jour, s’en vint sur sa bicyclette la retrouver aux environs de la Haie d’Étigues.

Orpheline de mère, Clarisse, n’était pas heureuse auprès de son père, homme dur, sombre de caractère, dévot à l’excès, entiché de son titre, âpre au gain, et que ses fermiers redoutaient comme un ennemi. Lorsque Raoul, qui n’avait même pas été présenté, eut l’audace de lui demander la main de sa fille, le baron entra dans une telle fureur contre ce prétendant imberbe, sans situation et sans relations, qu’il l’eût cravaché si le jeune homme ne l’avait regardé d’un petit air de dompteur qui maîtrise une bête féroce.

C’est à la suite de cette entrevue, et pour en effacer le souvenir dans l’esprit de Raoul, que Clarisse commit la faute de lui ouvrir, à deux reprises, la porte de son boudoir. Imprudence dangereuse et dont Raoul s’était prévalu avec toute la logique d’un amoureux.

Ce matin-là, simulant une indisposition, elle se fit apporter le déjeuner de midi tandis que Raoul se cachait dans une pièce voisine, et après le repas, ils restèrent longtemps serrés l’un contre l’autre devant la fenêtre ouverte, unis par le souvenir de leurs baisers et par tout ce qu’il y avait en eux de tendresse et, malgré la faute commise, d’ingénuité.

Cependant Clarisse pleurait…