Page:Leblanc - La Comtesse de Cagliostro, paru dans Le Journal, 1923-1924.djvu/26

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Serment dont Raoul sentait lui-même pour l’instant la prétention de la témérité. Au fond Joséphine Balsamo l’intimidait encore, et il n’était pas loin d’éprouver contre elle une certaine irritation, comme un enfant qui voudrait être l’égal et qui doit se soumettre à plus fort que lui.

Deux jours durant, il se confina dans la petite chambre qu’il occupait au rez-de-chaussée de son auberge, et dont la fenêtre donnait sur une cour plantée de pommiers. Journées de méditation et d’attente, et qu’il fit suivre d’un après-midi de promenade à travers la campagne normande, c’est-à-dire aux lieux mêmes où il était possible qu’il rencontrât Joséphine Balsamo.

Il supposait bien, en effet, que la jeune femme, toute meurtrie encore par l’horrible épreuve, ne retournerait pas à son logement de Paris. Vivante, il fallait que ceux qui l’avaient tuée, la crussent morte. Et, d’autre part, aussi bien pour se venger d’eux que pour atteindre avant eux l’objectif qu’ils s’étaient proposé, il ne fallait pas qu’elle s’éloignât du champ de bataille.

Le soir de ce troisième jour il trouva sur la table de sa chambre un bouquet de fleurs d’avril : pervenches, narcisses, primevères, coucous. Il questionna l’aubergiste. On n’avait vu personne.

— C’est elle, pensa-t-il en embrassant les fleurs qu’elle venait de cueillir.

Quatre jours consécutifs il se posta au fond de la cour, derrière une remise. Lorsqu’un pas résonnait à l’entour, son cœur battait. Déçu chaque fois, il en éprouvait une réelle douleur.

Mais le quatrième jour, à cinq heures, entre les arbres et les fourrés qui garnissaient le talus de la cour, il se produisit un froissement d’étoffe. Une robe passa. Raoul fit un mouvement pour s’élancer et, aussitôt, se contint et domina sa colère.

Il reconnaissait Clarisse d’Étigues.

Elle avait à la main un bouquet de fleurs exactement pareil à l’autre. Elle franchit légèrement l’intervalle qui la séparait du rez-de-chaussée, et, tendant le bras par la fenêtre, elle déposa la gerbe.

Lorsqu’elle revint sur ses pas, Raoul la vit de face et fut frappé de sa pâleur. Ses joues avaient perdu leurs teintes fraîches, et ses yeux cernés révélaient son chagrin et les longues heures de l’insomnie.

— Je souffrirai beaucoup pour toi, avait-elle dit, sans prévoir cependant que sa souffrance commencerait si tôt, et que le jour même où elle se donnait à Raoul serait un jour d’adieu et d’inexplicable abandon.

Il se souvint de la prédiction et, s’irritant contre elle du mal qu’il lui faisait, furieux d’être trompé dans son espoir et que la porteuse de fleurs fût Clarisse et non point celle qu’il attendait, il la laissa partir.

Pourtant, c’est à Clarisse — à Clarisse qui détruisait ainsi elle-même sa dernière chance de bonheur — qu’il dut la précieuse indication dont il avait besoin pour s’orienter dans la nuit. Une heure plus tard, il constatait qu’une lettre était attachée à la barre et, l’ayant décachetée, il lut :

« Mon chéri, est-ce fini déjà ? Non, n’est-ce pas ? Je pleure sans raison ?… Il n’est pas possible que tu en aies déjà assez de ta Clarisse ?

» Mon chéri, ce soir, ils prennent tous le train et ne seront de retour que demain très tard. Tu viendras, n’est-ce pas ? Tu ne me laisseras pas pleurer encore ?… Viens, mon chéri… »

Pauvres lignes désolées !… Raoul n’en fut pas attendri. Il pensait au voyage annoncé et se rappelait cette accusation de Beaumagnan : « Sachant par moi que nous devions bientôt visiter de fond en comble une propriété voisine de Dieppe, elle s’y est rendue en hâte… »

N’était-ce pas cela le but de l’expédition. Et n’y aurait-il pas là, pour Raoul, une occasion de se mêler à la lutte et de tirer des événements tout le parti qu’ils comportaient ?

Le soir même, à sept heures, habillé comme un pêcheur de la côte, méconnaissable sous la couche d’ocre qui rougissait son visage, il montait dans le même train que le baron d’Étigues et Oscar de Bennetot, changeant comme eux deux fois, et descendant à une petite station où il coucha.

Le lendemain matin, d’Ormont, Rolleville et Roux d’Estiers venaient chercher leurs deux amis en voiture, Raoul s’élança derrière eux.

À une distance de dix kilomètres, la voiture s’arrêta en vue d’un long manoir délabré qu’on appelle le château de Gueures. S’approchant de la grille ouverte, Raoul constata que, dans le parc, grouillait tout un peuple d’ouvriers qui retournaient la terre des allées et des pelouses.