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ménagées sous le vieux toit de chaume, le jour filtrait. D’un côté même, un peu de soleil passa.

— Où donc êtes-vous ? dit-il. Je ne vous vois pas.

La lampe s’était éteinte. Il courut jusqu’au volet et l’attira vers lui, emplissant ainsi le grenier de lumière. Il n’aperçut point Joséphine Balsamo.

Il s’élança contre les bottes de foin, les déplaça, les jeta furieusement par la trappe qui ouvrait sur le rez-de-chaussée. Personne. Joséphine Balsamo avait disparu.

Il descendit, chercha dans le verger, fouilla la plaine voisine et le chemin. Vainement. Bien que blessée, incapable de poser le pied à terre, elle avait quitté le refuge, sauté sur le sol, traversé le verger, la plaine voisine…

Raoul d’Andrésy regagna la grange pour en faire l’inspection minutieuse. Il n’eut pas besoin de chercher longtemps. Sur le plancher même il aperçut un carton rectangulaire.

Il le ramassa. C’était la photographie de la comtesse de Cagliostro. Derrière, écrites au crayon, ces deux lignes :

Que mon sauveur soit remercié, mais qu’il n’essaie pas de me revoir.



V.

Une des sept branches

Il y a certains contes dont le héros est en proie aux aventures les plus extravagantes et s’avise, lors du dénouement, qu’il fut tout simplement le jouet d’un rêve. Raoul, quand il eut retrouvé sa bicyclette derrière le talus où il l’avait enfouie la veille se demanda subitement s’il n’avait pas été ballotté par une suite de songes tour à tour divertissants, pittoresques, redoutables et, en définitive, fort décevants.

L’hypothèse ne l’arrêta guère. La vérité s’attachait à lui par la photographie qu’il avait entre les mains, et plus encore peut-être par le souvenir enivrant du baiser pris aux lèvres de Joséphine Balsamo. Cela, c’était une certitude à laquelle il ne pouvait se soustraire.

Pour la première fois, à ce moment, — il le constata avec un remords aussitôt chassé — il pensa d’une façon nette à Clarisse d’Étigues, et aux heures délicieuses de la matinée précédente. Mais, à l’âge de Raoul, ces ingratitudes et ces contradictions de cœur s’arrangent aisément, il semble qu’on se dédouble en deux êtres, dont l’un continuera d’aimer dans une sorte d’inconscience où la part de l’avenir est réservée, et dont l’autre se livre avec frénésie à tous les emportements de la passion nouvelle. L’image de Clarisse se dressa, confuse et douloureuse, comme au fond d’une petite chapelle ornée de cierges vacillants près desquels il irait prier de temps en temps. Mais la comtesse de Cagliostro devenait tout à coup l’unique divinité que l’on adore, une divinité despotique et jalouse qui ne permettrait pas qu’on lui dérobât la moindre pensée ni le moindre secret.

Raoul d’Andrésy, — continuons d’appeler ainsi celui qui devait illustrer le nom d’Arsène Lupin — Raoul d’Andrésy n’avait jamais aimé. En fait, le temps lui avait manqué plus encore que l’occasion. Brûlé d’ambition, mais ne sachant pas dans quel domaine et par quels moyens se réaliseraient ses rêves de gloire, de fortune et de puissance, il se dépensait de tous côtés pour être prêt à répondre à l’appel du destin. Intelligence, esprit, volonté, adresse physique, force musculaire, souplesse, endurance, il cultiva tous ses dons jusqu’à l’extrême limite, étonné lui-même de voir que cette limite reculait toujours devant la puissance de ses efforts.

Avec cela il fallait vivre, et il n’avait aucune ressource. Orphelin, seul dans l’existence, sans amis, sans relations, sans métier, il vécut cependant. Comment ? C’était un point sur lequel il n’aurait su donner que des explications insuffisantes, et que lui-même il n’examinait pas de trop près. On vit comme on peut. On fait face à ses besoins et à ses appétits selon les circonstances.

— La chance est pour moi, se disait-il. Allons de l’avant. Ce qui doit être sera, et j’ai idée que ce sera magnifique.

C’est alors qu’il croisa sur son chemin Joséphine Balsamo. Tout de suite il sentit que, pour la conquérir, il mettrait en œuvre tout ce qu’il avait accumulé d’énergie.

Et Joséphine Balsamo, pour lui, n’avait rien de commun avec la « créature infernale » que Beaumagnan avait essayé de dresser devant l’imagination inquiète de ses amis. Toute cette vision sanguinaire, tout cet attirail de crime et de perfidie, tous ces oripeaux de sorcière, s’évanouissaient comme un cauchemar en face de la jolie photographie où il contemplait les yeux limpides et les lèvres pures de la jeune femme.

— Je te retrouverai, jurait-il en la couvrant de baisers, et tu m’aimeras comme je t’aime, et tu seras à moi comme la maîtresse la plus soumise, et la plus chérie. Je lirai dans ta vie mystérieuse ainsi que dans un livre ouvert. Ton pouvoir de divination, tes miracles, ton incroyable jeunesse, tout ce qui déconcerte les autres et les effare, autant de procédés ingénieux dont nous rirons ensemble. Tu seras à moi, Joséphine Balsamo.