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Il sauta sur le siège.

— Mais, quelle route ? demanda Raoul.

— Du côté de Saint-Germain. N’est-ce pas, Édouard ? Vous les avez vus ?

— Oui. Saint-Germain, affirma le domestique.

Déjà l’auto de Raoul démarrait.

À trois cents mètres, ils virèrent sur la route nationale, à droite, et franchirent la Seine. La route nationale no 190, c’était la direction de Rouen, de la Normandie…

Jérôme mâchonnait, hors de lui :

— Elle ne se doutait de rien. Moi non plus. Il avait ramené de Paris une auto qu’il voulait acheter, soi-disant. Il profita de ce que j’étais dans le jardin pour lui proposer d’essayer la voiture… Elle s’y installa. Mais, comme il mettait le moteur en marche, elle voulut sans doute descendre et il dut l’en empêcher, car elle poussa des cris qu’Édouard entendit, ainsi que moi. Lorsque Édouard sortit, la voiture était déjà loin.

— Quelle sorte de voiture ?

— Un cabriolet.

— Aucun signe spécial ?

— Une caisse jaune clair.

— Combien d’avance ?

— Dix minutes au plus.

— On les aura. Félicien conduit mal.

Raoul s’engageait dans la côte de Saint-Germain. Mais, subitement, il obliqua du côté de Versailles.

— Dix à douze kilomètres de ligne droite. On va gazer.

— Mais pourquoi changer ?

— Une idée !… Félicien a été élevé dans le Poitou. Puisque nous n’avons aucune indication précise, il faut diminuer les risques d’erreur et supposer qu’il se réfugie dans une région qu’il connaît. La route nationale no 10 doit être la bonne.

— Si vous vous trompiez ?

— Tant pis.

Ils traversèrent en trombe la place d’Armes, à Versailles, et roulèrent jusqu’à Saint-Cyr et Trappes.

— Nous devrions déjà voir le cabriolet jaune. Il faut que Félicien marche à toute allure.

— Mais, vous êtes certain ?…

— Oh ! absolument certain. Nous faisons du cent dix à l’heure. À ce train-là, nous sommes sûrs de le rattraper avant Rambouillet.

Il était heureux de sa victoire immédiate. Quelle revanche contre ce damné Félicien que rien ne pouvait sauver de la défaite et du ridicule !

— Vous êtes sûr ? Vous êtes sûr ? objecta Jérôme. Et si vous aviez choisi la mauvaise route ?

— Impossible. Tenez, n’est-ce pas eux, là-bas… qui s’engagent dans la forêt ?

— Oui ! oui ! s’écria Jérôme.

Et, s’exaltant soudain, il lâcha des injures :

— Le misérable ! Je savais bien qu’il l’aimait… Je l’ai dit vingt fois à Rolande… Il l’a toujours aimée. Dès le début, il tournait autour d’elle. Du temps même de cette pauvre Élisabeth… C’est elle qui l’a remarqué. Il l’aime, je vous le dis, monsieur. Ah ! le cabotin… Il s’en cache, il affecte de s’occuper de Faustine, mais je sentais sa haine contre moi… sa jalousie féroce. Quand elle lui a annoncé son mariage, il avait beau crâner, il tremblait de colère. Il l’aime… Il l’aime et il l’emporte. Ah ! s’il échappait… Voyez-vous qu’il échappe et que Rolande ne puisse se sauver de lui. Ah ! l’horreur !… Mais marchez donc ! On n’avance pas…

Au fond de lui, Raoul éprouvait une satisfaction confuse dont il se