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Les événements ne s’y prêtèrent pas, au début. Faustine était retournée à son service de la clinique. Félicien, qui déjeunait en même temps qu’elle au pavillon, déjeuna dorénavant à la villa des Clématites et y passa l’après-midi.

Au cinquième jour, Raoul, pour se rendre compte, y alla également.

La cuisinière ouvrit et lui dit :

— Je crois que mademoiselle est sur la pelouse. Si monsieur veut bien la rejoindre par la salle à manger.

Dans le hall, deux portes se présentaient. Raoul entra dans la salle. Mais, au lieu de descendre au jardin, il jeta un coup d’œil à travers les rideaux de tulle tendus sur les portes vitrées du studio. Un spectacle imprévu l’y attendait.

Sur la gauche de la pièce, en pleine lumière, face à Félicien qui était assis devant son chevalet de peintre, Faustine posait, les épaules largement découvertes, les bras nus.

Raoul fut mordu par un sentiment d’irritation auquel il mêlait — il ne s’en défendit pas vis-à-vis de lui-même — une mauvaise humeur jalouse.

« La gueuse ! pensa-t-il, qu’est-ce qu’elle fait là ? Et que lui veut ce galopin ? »

Il la voyait bien en face, mais les yeux de la jeune femme regardaient un peu de côté vers la large baie ouverte sur la pelouse et l’étang. Les épaules inondées de clarté étaient pleines, harmonieuses, d’une blancheur un peu dorée. Une fois de plus, et c’était là un souvenir qui le hantait souvent, il évoqua la radieuse Phryné du sculpteur.

Sans bruit, il entre-bâilla la porte, curieux de les entendre parler et il s’avisa que les deux fiancés, Rolande et Jérôme Helmas, étaient assis sur le rebord de la fenêtre, les jambes en dehors.

Ils causaient à voix basse. De temps à autre, Félicien Charles tournait la tête vers eux.

Et Raoul eut la conviction profonde que tout le drame des Clématites et de l’Orangerie, le premier des deux drames, était là, dans le studio, et se jouait entre les quatre personnages qui s’y trouvaient. Inutile de chercher en dehors de ces quatre acteurs. Tragédie d’amour, ou de haine, ou d’ambition, ou de jalousie, tout bouillonnait en ce cadre restreint, Tous quatre semblaient calmes et attentifs à leurs occupations actuelles. Mais le passé et l’avenir, le crime et la punition, la mort et la vie, s’affrontaient comme des adversaires effrénés.

Quelle était la part de chacun dans ce conflit ? Quel rôle Félicien, qui aimait, à n’en point douter, Rolande, jouait-il entre les deux fiancés ?

Comment Faustine, l’infirmière, s’était-elle introduite dans ce milieu ? Et pour quelles raisons, Rolande, d’une classe si différente, l’y avait-elle admise ? Autant de questions insolubles.

Cependant, les deux fiancés ayant disparu dans le jardin, Raoul entra doucement, et, lorsque Faustine ramena les yeux vers le chevalet, elle le vit, au-dessus du chevalet et de Félicien.

Tout de suite, confuse et rouge, elle se couvrit d’un châle.

— Ne vous dérangez pas, Félicien, dit-il. Mais, mon Dieu, que vous avez là un beau modèle !

— Admirable, et dont je suis tout à fait indigne, avoua le jeune homme.

— Vous n’avez donc pas de prétentions ?

— Aucune, devant tant de beauté.

Raoul ricana :

— Et vous, Faustine ? Ça vous