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pareille infamie.

— Je n’accuse pas. Je pose une question que l’on ne peut pas ne pas se poser.

— Pourquoi ne peut-on pas ?

— À cause de cette lettre, Félicien. Il y a dans ces lignes une telle inconscience !…

— Rolande est une créature de loyauté, de noblesse.

— Rolande est une femme… une femme qui est en train d’oublier.

— Je suis sûr qu’elle n’oublie pas.

— Non, mais elle fonde son foyer dans des conditions… qui ne doivent pas lui être désagréables, plaisanta Raoul.

Félicien se leva et, gravement :

— N’en dites pas davantage, je vous en prie, monsieur. Rolande est au-dessus de tout soupçon.

Raoul lui rendit la lettre et fit quelques pas sur la pelouse. Il avait l’impression qu’avec de la persévérance on pouvait s’insinuer dans cette nature ombrageuse et secrète, où il discernait de l’emportement et de la révolte, et il allait insister lorsqu’il entendit la barrière d’entrée qui s’ouvrait.

— Bigre ! murmura-t-il, c’est l’inspecteur principal Goussot. Qu’est-ce qu’il nous apporte, cet oiseau de mauvais augure ?

L’inspecteur avança vers le bosquet où se tenaient les deux hommes et serra la main de Raoul qui lui dit en riant :

— Comment ! nous n’en avons pas fini avec vous, monsieur l’inspecteur ?

— Mais si, mais si, riposta Goussot, d’un ton badin qui ne lui était pas habituel. Seulement, n’est-ce pas ? quand la justice a eu maille à partir avec quelqu’un, elle garde tout de même sur lui un droit…

— De surveillance.

— Non, un droit d’attention cordiale. C’est pourquoi, tout en poursuivant mon enquête, je suis venu prendre des nouvelles de notre malade.

— Félicien Charles va tout à fait bien, n’est-ce pas, Félicien ?

— Tant mieux ! tant mieux ! dit Goussot ! Le bruit a couru dans la région qu’il y avait eu détonation, suicide, etc. Nous avons même reçu, à ce propos, une lettre anonyme dactylographiée. Bref, des tas de blagues auxquelles je n’ai pas cru une seconde. Un innocent dont l’innocence est proclamée ne se tue pas.

— Certes non.

— À moins qu’il ne le soit pas, innocent, insinua Goussot.

— C’est là une question que personne n’envisage plus, en l’occurrence.

— Si.

— Allons donc !

— Parfaitement. Ainsi j’ai su — excusez les procédés de la police — qu’au sortir de prison, votre jeune ami avait téléphoné…

— À moi, en effet.

— Et ensuite à Mlle Rolande Gaverel pour solliciter la permission d’aller la voir au courant de la journée.

— Et alors ?

— Et alors, ladite demoiselle a refusé de le voir.

— Ce qui signifie ?

— Que ladite demoiselle ne le croit pas innocent. Sans quoi, n’est-ce pas ?…

Raoul se moqua.

— C’est tout ce que vous avez tiré de votre vilaine enquête, monsieur l’inspecteur ?

— Ma foi, oui.

— En ce cas…

Il lui montra le chemin de la barrière, Goussot pivota sur ses talons, mais faisant face de nouveau à l’adversaire :