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vous avez su qu’ils se retrouvaient tous les jours. Une heure après, vous preniez votre revolver. Est-ce exact ?

La figure crispée, Félicien écoutait.

— Je continue, dit Raoul. Rolande Gaverel, je ne sais comment, a connu votre tentative. Affolée, elle est venue vous voir, la nuit, il y a trois jours, pour vous supplier de vivre et pour vous affirmer que vos soupçons étaient injustes. Ses explications vous ont convaincu au point que, depuis cette nuit-là, vous êtes heureux et guéri. Est-ce exact ?

Cette fois, il semblait que le jeune homme ne pût pas et ne voulût pas se dérober à des questions si pressantes. Il hésita cependant, tout au moins sur la façon dont il répondrait. Enfin, il dit :

— Monsieur, je n’ai jamais revu Rolande Gaverel depuis le jour du drame, et la personne qui est venue chez moi l’autre nuit n’est pas elle. Mes relations d’amitié avec Rolande ne lui auraient pas permis cette démarche. Et, moins encore, la décision qu’elle a prise et qu’elle m’annonce par une lettre que son domestique vient de m’apporter.

Cette lettre, Félicien la tendit à Raoul qui la lut avec une surprise croissante :


« Félicien,

» Le malheur nous a réunis, Jérôme Helmas et moi. À force de pleurer ensemble sur notre pauvre Élisabeth, nous avons senti qu’il n’y avait pas d’autre consolation pour nous que de rester fidèles l’un près de l’autre à son cher souvenir. J’ai l’impression profonde que c’est elle-même qui nous rapproche et qui nous demande de fonder un foyer à l’endroit même où elle était si heureuse et où elle rêvait de l’être plus encore.

» Je ne sais pas l’époque de notre mariage. Ai-je besoin de vous dire que bien des choses me retiennent, que j’ai peur de me tromper, et que, jusqu’au dernier moment, cette peur me fera hésiter, Mais alors, comment vivre ? Je n’ai plus la force de me trouver seule en face de moi.

» Vous qui l’avez connue, Félicien, je vous demande de venir demain aux Clématites et me dire qu’elle m’eût approuvée.

» Rolande. »

Raoul relut la lettre à mi-voix et, lentement :

— Drôle d’aventure ! ricana-t-il. Cette jeune personne a une façon d’être fidèle au souvenir de sa sœur ! Allez donc la voir, Félicien, et lui donner votre appui. Les travaux, ici, ne pressent pas, et vous avez même besoin de quelques jours de repos.

Après un instant de réflexion, il se pencha vers le jeune homme.

— Il m’est impossible, cependant, de vous taire une idée qui m’a souvent traversé l’esprit : celle d’une entente entre les deux fiancés.

— Évidemment, dit Félicien étonné, évidemment, il y a entente entre eux puisqu’ils sont fiancés.

— Oui, mais cela ne remonte-t-il pas beaucoup plus haut ?

— Beaucoup plus haut ? À quelle époque ?

Syllabe par syllabe, Raoul détacha cette phrase terrible :

À l’époque où Élisabeth Gaverel vivait encore.

— Ce qui veut dire ?

— Ce qui veut dire que l’embûche criminelle tendue à Élisabeth Gaverel, deux mois avant son mariage est bien étrange.

Félicien eut un geste d’indignation et s’écria :

— Ah ! monsieur, votre supposition est impossible ! Je les connais tous les deux, je connais l’amour de Rolande pour sa sœur… Non, non, on n’a pas le droit de l’accuser d’une