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tre en poche. C’est pas mon genre, tout ça. Je ne suis pas un grand seigneur, et je n’ai pas de titre. Par conséquent, ayez la bonne grâce de descendre d’un degré. On sera mieux pour causer.

Il alluma une cigarette, toussa, se retint pour ne pas cracher par terre et ricana :

— Ça vous la coupe hein ? Dame ! quand on a affaire à des marquis et à des ducs, et qu’on trouve en face de soi un bougre qui n’a pas froid aux yeux…

Toujours impassible, Raoul répliqua :

— Quand j’ai affaire à des marquis et à des ducs, je tâche d’être aussi poli que possible. Quand j’ai affaire à un marchand de porcs, je le traite…

— Vous le traitez ?…

— À la Lupin.

D’un geste, il lui fit sauter la cigarette des lèvres, et, brusquement :

— Allons, finis-en. Je suis pressé. Qu’est-ce que tu veux ?

— De l’argent.

— Combien ?

— Cent mille.

Raoul joua la surprise :

— Cent mille ! Tu as donc quelque chose d’énorme à me proposer ?

— Rien.

— Alors, c’est une menace ?

— Plutôt.

— Du chantage, quoi ?

— Justement.

— C’est-à-dire que, si je ne paie pas, tu accomplis tel acte contre moi ?

— Oui.

— Et cet acte ?

— Je te dénonce.

Raoul hocha la tête.

— Mauvais calcul. Je ne marche jamais dans ce cas-là.

— Tu marcheras.

— Non. Alors ?

— Alors, j’écris à la Préfecture. Je déclare que M. Raoul d’Averny, qui a été mêlé aux affaires et aux crimes du Vésinet, n’est autre qu’Arsène Lupin.

— Et après ?

— Après, on te coffre, Lupin.

— Et après ? tu toucheras les cent mille balles ?

Raoul haussa les épaules.

— Idiot ! Tu ne peux avoir d’action sur moi que si je suis libre et que j’aie peur du mal que tu pourrais me faire. Trouve autre chose.

— C’est tout trouvé.

— Quoi ?

— Félicien.

— Tu as des preuves contre lui ? Il est complice du cambriolage ? complice des meurtres ? Il risque le bagne ? l’échafaud ? Qu’est-ce que tu veux que ça me fiche ?

— Si tu t’en fiches, pourquoi as-tu donné cinq mille francs pour te renseigner sur lui ?

— Ça, c’est autre chose. Mais qu’il soit en prison ou ailleurs, je m’en moque comme de ma première chemise. Sais-tu qui l’a fait arrêter, Félicien ? Moi.

Dans le silence, Raoul perçut un petit rire qui chevrotait entre les lèvres de l’homme. Il éprouva une légère inquiétude.

— Pourquoi ris-tu ?

— Pour rien… un souvenir qui me remonte à la mémoire.

— Quel souvenir ?

L’inquiétude de Raoul se dissipait. Il avait l’impression que quelque chose enfin allait sourdre du passé et qu’il était sur le point d’apprendre les raisons pour lesquelles il se trouvait engagé dans cette ténébreuse histoire.

— Quel souvenir ? Parle.

L’autre articula :

— Tu connais le docteur Delattre ?