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nous aimait bien… Que de fois, ma vieille gouvernante Amélie m’a dit : « Mademoiselle Élisabeth, vous serez très riche. Votre vieux cousin, Georges Dugrival, doit vous laisser toute sa fortune, oui, à vous, Élisabeth. Et il est malade, paraît-il. » Vous voyez bien, Jérôme…

» Jérôme chuchota :

» — L’argent… l’argent… soit. Mais c’est le travail que je voudrais. Ce que je désire pour vous, Élisabeth, c’est un mari qui vous fasse honneur…

» Il n’en dit pas davantage. Mais je souriais. Jérôme… mon cher Jérôme, est-ce qu’on pense à l’avenir, quand on aime comme nous nous aimons ? »


Élisabeth posa sa plume. Sa confidence quotidienne était finie. Elle s’apprêta, se poudra, anima son visage d’un peu de rouge, vérifia si le fermoir du beau collier de perles qu’elle tenait de sa mère, et qu’elle ne quittait jamais, était bien solide, et descendit pour gagner le jardin de son oncle Philippe et les trois marches de bois près desquelles la barque était amarrée.


Jérôme n’avait pas bougé de son divan depuis le départ d’Élisabeth. Il écoutait, sans y prêter attention, les improvisations de Rolande.

S’interrompant, elle lui dit :

— Je suis bien contente, Jérôme. Et vous ?

— Moi aussi, dit-il.

— N’est-ce pas ? Élisabeth est une telle merveille ! Si vous saviez la bonté et la noblesse de votre future femme ! Mais vous les connaîtrez, Jérôme.

Elle se retourna vers le clavier et attaqua vigoureusement une marche triomphale, destinée à l’expression d’un bonheur surhumain.

Mais, de nouveau, elle s’arrêta, brusquement.

— On a crié… Vous avez entendu, Jérôme ?

Ils écoutèrent.

Un grand silence entrait du dehors, de la calme pelouse, de l’étang paisible. Sûrement, Rolande avait fait erreur. Elle reprit, à pleines mains, ses accords de victoire et de joie.

Puis, subitement, elle se dressa.

On avait crié, elle en était certaine.

— Élisabeth… balbutia-t-elle, en s’élançant vers la fenêtre.

Elle proféra, la voix étranglée :

— Au secours !

Jérôme était déjà près d’elle.

Se penchant, il vit au ras de la berge, à l’endroit des marches, un homme qui semblait tenir Élisabeth à la gorge. Celle-ci gisait, les jambes dans l’eau. À son tour, Jérôme hurla de terreur et voulut sauter pour rejoindre Rolande qui courait sur la pelouse.

Là-bas l’homme s’était retourné vers eux. Tout de suite, il lâcha sa victime, ramassa quelque chose et s’enfuit par le jardin de l’Orangerie.

Alors, Jérôme changea d’idée. Il passa dans la pièce voisine, y décrocha une carabine avec laquelle les deux sœurs s’exerçaient souvent et qu’il savait chargée, et s’arrêta sur le perron qui dominait les jardins.

L’homme se sauvait. Il se trouvait devant la maison et voulait manifestement atteindre le potager de l’Orangerie, lequel offrait une issue directe sur l’avenue circulaire.

Jérôme épaula et visa. Une détonation : l’homme piqua une tête et déboula dans un massif de fleurs où, après quelques soubresauts, il demeura inerte. Jérôme s’élança.