Page:Leblanc - L’Aiguille creuse, 1912.djvu/262

Cette page a été validée par deux contributeurs.
248
L’AIGUILLE CREUSE

non, elle ne parlerait pas… oui… non… J’en avais la chair de poule… Si elle parlait, c’était ma vie à refaire, tout l’échafaudage détruit… Le domestique arriverait-il à temps ? Oui… non… le voilà… Mais Beautrelet va me démasquer ? Jamais ! trop gourde ! Si… non… voilà, ça y est… non, ça y est pas… si… il me reluque… ça y est… il va prendre son revolver… Ah ! quelle volupté !… Isidore, tu parles trop… Dormons, veux-tu ? Moi, je tombe de sommeil… bonsoir…

Beautrelet le regarda. Il semblait presque dormir déjà. Il dormait.

L’automobile, lancée à travers l’espace, se ruait vers un horizon sans cesse atteint et toujours fuyant. Il n’y avait plus ni villes, ni villages, ni champs, ni forêts, rien que de l’espace, de l’espace dévoré, englouti.

Longtemps Beautrelet regarda son compagnon de voyage avec une curiosité ardente, et aussi avec le désir de pénétrer, à travers le masque qui la couvrait, jusqu’à sa réelle physionomie. Et il songeait aux circonstances qui les enfermaient ainsi l’un près de l’autre dans l’intimité de cette automobile.

Mais, après les émotions et les déceptions de cette matinée, fatigué à son tour, il s’endormit.