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Et seulement alors elle eut l’idée que peut-être la Bretonne avait été blessée comme ses sœurs.

Elle reprit sa course. Mais lorsqu’elle parvint en vue du pont, elle perçut, à travers le bourdonnement de ses oreilles, des plaintes stridentes, et, ayant débouché en face de la pente abrupte qui montait jusqu’au bois du Grand-Chêne, elle vit…

Ce qu’elle vit la cloua net à l’entrée du pont. De l’autre côté, Gertrude, vautrée sur le sol, se débattait, s’accrochant aux racines, enfonçant ses doigts crispés dans la terre ou dans l’herbe, et s’élevant le long de la pente, lentement, d’un mouvement insensible et ininterrompu.

Et Véronique se rendit compte que la malheureuse était attachée sous les bras et à la taille par une corde, qui la hissait ainsi qu’une proie ficelée et impuissante, et que tiraient, là-haut, des mains invisibles.

Véronique épaula. Mais quel ennemi viser ? Quel ennemi combattre ? Qui se cachait derrière les troncs d’arbres et les pierres dont la colline était couronnée comme d’un rempart.

Entre ces pierres, entre ces troncs d’arbres, Gertrude glissa. Elle ne criait plus, exténuée sans doute, évanouie. Elle disparut.

Véronique n’avait pas bougé. Elle comprenait la vanité de tout effort et de toute entreprise. En se jetant dans une lutte où elle était vaincue d’avance, elle ne pouvait délivrer les sœurs Archignat, et elle s’offrait elle-même au vainqueur, nouvelle et dernière victime.

Et puis elle avait peur. Tout se passait selon la logique implacable de faits dont elle ne saisissait pas la signification, mais qui, en vérité, semblaient liés les uns aux autres comme les mailles d’une chaîne. Elle avait peur, peur de ces êtres, peur de ces fantômes, peur instinctivement et inconsciemment, peur comme les sœurs Archignat, comme Honorine, comme toutes les victimes de l’épouvantable fléau.

Elle se baissa pour qu’on ne pût l’apercevoir du Grand-Chêne, et, à moitié courbée, profitant de l’abri