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à lui, devant les fleurs de véronique, sans haine et sans désespoir.

Mais le cinquième jour, elle s’aperçut que ses provisions touchaient à leur fin, et, vers le milieu de l’après-midi, elle descendit au village.


En bas, elle constata que la plupart des maisons étaient restées ouvertes, tellement leurs possesseurs avaient, en s’en allant, la certitude de revenir et d’emporter, dans un second voyage, les choses nécessaires.

Le cœur serré, elle n’osa pas en franchir le seuil. Il y avait des géraniums sur le rebord des fenêtres. Les grandes horloges à balancier de cuivre continuaient à régler le temps dans les chambres vides. Elle s’éloigna.

Mais, sous un hangar non loin du quai, elle aperçut les sacs et les caisses qu’Honorine avait apportés sur le canot.

« Allons, se dit-elle, je ne mourrai pas de faim. Il y en a pour des semaines, et, d’ici là… »

Elle réunit dans un panier du chocolat, des biscottes, quelques boîtes de conserves, du riz, des allumettes, et elle était sur le point de retourner au Prieuré, quand elle eut l’idée de poursuivre sa promenade jusqu’à l’autre bout de l’île. En repassant, elle reprendrait le panier. Un chemin ombragé montait vers le plateau. Le paysage ne lui parut pas différent. Mêmes plaines, mêmes landes sans cultures et sans pâturages, mêmes bosquets de vieux chênes. L’île, également, se rétrécissait, sans obstacle qui empêchât de voir la mer des deux côtés et de distinguer au loin la côte bretonne.

Et il y eut aussi une haie qui allait d’une falaise à l’autre, et qui servait de clôture à un domaine, domaine de chétive apparence, avec longue masure délabrée et communs aux toits rapiécés, avec une cour sale, mal entretenue, encombre de ferraille et de fagots.

Véronique retournait déjà sur ses pas, lorsqu’elle s’arrêta, confondue. Il lui avait semblé entendre un gémissement. Elle prêta l’oreille, épiant le grand silence et, de nouveau, le même bruit, mais plus distinct, lui parvint ; il y en eut d’autres, des cris de souffrance et