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« Ma tête éclate… Ah ! les pauvres gens de Sarek !… C’étaient mes amis… mes amis d’enfance… et on ne les reverra pas… Jamais la mer ne rend ses morts à Sarek… Elle les garde… Elle a des cercueils tout prêts… mille et mille cercueils cachés… Ah ! ma tête éclate… Je deviens folle… folle comme François… mon pauvre François ! »

Véronique ne répondit pas. Elle était livide. De ses doigts crispés, elle s’accrochait au balcon et regardait comme on regarde au fond d’un abîme où l’on va se jeter. Qu’allait faire son fils ? Sauver ces gens, dont on entendait maintenant les hurlements de détresse, les sauver sans retard ? On peut avoir des accès de folie, mais les crises s’apaisent devant certains spectacles.

Le canot avait reculé dès l’abord pour n’être pas entraîné par les remous. François et Stéphane, dont on voyait toujours le béret rouge et le béret blanc, étaient debout, aux mêmes postes d’avant et d’arrière, et ils tenaient dans leurs mains… Les deux femmes discernaient mal, à cause de la distance, ce qu’ils tenaient dans leurs mains. Cela avait l’air de bâtons un peu longs…

« Des perches pour secourir… murmura Véronique

— Ou des fusils… » répondit Honorine.

Les points noirs flottaient. Il y en avait neuf, les neufs têtes des survivants dont on devinait aussi, parfois, les bras qui gesticulaient, et dont on percevait les appels.

Quelques-uns s’éloignèrent en hâte du canot, mais quatre d’entre eux s’en approchèrent, et, de ces quatre-là, il y en eut deux qui ne pouvaient tarder à l’atteindre.

Soudain, François et Stéphane firent le même mouvement, mouvement de tireurs qui épaulent.

Deux lueurs scintillèrent, tandis que parvenait le bruit d’une seule détonation.

Les têtes des deux nageurs disparurent.

« Ah ! les monstres, » bégaya Véronique, qui tomba à genoux, toute défaillante.

Près d’elle, Honorine se mit à vociférer :

« François !… François !… »