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« Je ne comprends pas… je ne comprends pas… » murmura la Bretonne.

Le moteur était éteint, et le canot gagna ainsi, à allure très douce, l’intervalle qui séparait les deux barques.

Et soudain les deux femmes virent que François se baissait, puis se dressait, et ramenait le bras droit en arrière comme s’il allait lancer quelque chose.

En même temps, Stéphane Maroux agissait de la même façon.

L’événement se produisit, brusque et terrifiant.

« Ah ! » cria Véronique.

Elle se cacha les yeux une seconde, mais releva la tête aussitôt, et vit, dans toute son horreur, l’affreux spectacle.

Deux choses avaient été jetées à travers le petit espace, une chose partie de l’avant, lancée par François, une autre de l’arrière, lancée par Stéphane Maroux.

Et tout de suite deux gerbes de feu jaillirent des deux barques, suivies de deux tourbillons de fumée.

Les détonations retentirent. Un instant, on ne distingua rien de ce qui se passait au milieu de ce nuage noir. Puis le rideau s’écarta, rabattu de côté par le vent, et Véronique et la Bretonne virent les deux barques qui s’enfonçaient rapidement, tandis que des êtres sautaient dans la mer.

La vision — et quelle vision infernale ! — ne fut pas longue. Elles aperçurent, debout sur une des bouées, une femme qui tenait un enfant dans ses bras et qui ne bougeait pas, puis des corps immobiles, atteints sans doute par l’explosion, puis deux hommes qui se battaient, fous peut-être. Et tout cela disparut avec les barques.

Quelques remous, des points noirs qui surnagent. Ce fut tout.

Honorine et Véronique n’avaient pas dit un seul mot, muettes d’épouvante. L’événement dépassait tout ce que leur angoisse avait pu imaginer.

À la fin, Honorine porta la main à sa tête et dit d’une voix sourde, dont Véronique devait se rappeler l’intonation :