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« Elle n’a pas bougé, elle dort toujours.

— Peut-être dort-elle, en effet, prononça Vorski. Je vais l’observer. Laisse-moi faire.  »

Il approcha. Il n’avait pas lâché le couteau de Conrad, et peut-être est-ce cela qui lui donna l’idée de tuer, car son regard se baissa vers l’arme, et il sembla se rendre compte seulement alors qu’il la tenait et qu’il pouvait s’en servir.

Il n’était plus qu’à trois pas de la femme quand il s’aperçut que celui des deux poignets qui se trouvait découvert était tout meurtri et comme marbré de taches noires, lesquelles provenaient évidemment de l’étreinte des cordes. Or, le vieux Druide lui avait fait remarquer, une heure auparavant, que les poignets n’offraient aucune trace de meurtrissure !

Ce détail le bouleversa de nouveau, d’abord en lui prouvant que c’était bien la femme, mise en croix par lui, que l’on avait détachée et qui était sous ses yeux, et ensuite parce qu’il rentrait soudain dans le domaine des miracles. Tour à tour le bras de Véronique lui apparaissait sous deux aspects différents, bras de femme vivante et intacte, bras de victime inerte et torturée.

Sa main tremblante serra le poignard, s’y accrochant pour ainsi dire comme si c’était l’arme même du salut. Dans son esprit confus surgissait une fois de plus l’idée de frapper, non pas pour tuer, puisque cette femme devait être morte, mais pour frapper l’ennemi invisible qui s’acharnait après lui, et pour conjurer d’un seul coup tous les maléfices.

Il leva le bras. Il choisit la place. Sa figure prit son expression la plus sauvage et s’illumina de la joie du crime. Et brusquement il s’abattit et frappa, comme un fou, au hasard, dix fois, vingt fois, avec un déchaînement frénétique de tous ses instincts.

« Tiens, meurs, bégayait-il… meurs encore… et que ce soit fini… Tu es le mauvais génie qui s’oppose à moi… et je t’anéantis… Meurs donc pour que je sois libre !… Meurs pour que je sois le seul maître !… »

Il s’arrêta, afin de reprendre son souffle. Il était exténué. Et tandis que ses yeux hagards contemplaient,