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des sentiments d’humanité et de compassion qui m’animent, je vous demande de rattacher le présent au passé que je viens d’esquisser à grands traits. Au point de vue social, le lien qui nous unit n’a jamais été brisé. Vous êtes toujours, par le nom et au regard de la loi… »

Il se tut, observa Véronique un instant, puis, lui appliquant violemment la main sur l’épaule, il cria :

« Écoute donc, bougresse ! Vorski parle. »

Véronique perdit l’équilibre, se rattrapa au dossier d’un fauteuil, et, de nouveau, les bras croisés, les yeux pleins de mépris, se dressa en face de son adversaire.

Cette fois encore Vorski put se dominer. L’acte avait été impulsif et contraire à sa volonté. Sa voix en garda une intonation impérieuse et mauvaise.

« Je répète que le passé existe toujours. Que vous le vouliez ou non, madame, vous êtes l’épouse de Vorski. Et c’est en raison de ce fait indéniable que je viens vous demander s’il vous plaît de vous considérer comme telle aujourd’hui. Entendons-nous : si je ne prétends obtenir ni votre amour ni même votre amitié, je n’accepte pas non plus de retourner aux relations hostiles qui furent les nôtres. Je ne veux plus l’épouse dédaigneuse et lointaine d’autrefois. Je veux… je veux une femme… une femme qui se soumette… qui soit la compagne dévouée, attentive, fidèle…

— L’esclave, murmura Véronique.

— Eh ! oui, s’écria-t-il, l’esclave, vous l’avez dit. Je ne recule pas plus devant les mots que devant les actes. L’esclave ! et pourquoi pas ? si l’esclave comprend son devoir, qui est d’obéir aveuglément. Pieds et poings liés, perinde ac cadaver. Ce rôle vous plaît-il ? Voulez-vous m’appartenir corps et âme ? Et votre âme même, je m’en moque. Ce que je veux… ce que je veux… vous le savez bien… n’est-ce pas ? Ce que je veux, c’est ce que je n’ai jamais eu. Votre mari ? Ah ! ah ! l’ai-je jamais été, votre mari ? Si je cherche au fond même de ma vie, dans le bouillonnement de mes sensations et de mes joies, je ne retrouve pas un seul souvenir qui me rappelle qu’il y a eu entre nous autre chose que la lutte sans merci de deux ennemis. Je vous regarde, et c’est