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temps, pour manger peut-être, et la nuit, car il finit par murmurer :

« Déjà… mais je n’ai pas faim… et il fait jour… »

Cette réflexion l’étonna lui-même. Il entr’ouvrit les yeux, et, tout de suite, il se dressa à demi, afin de voir la personne qui était là, devant lui, pour la première fois sans doute en plein jour.

Il ne fut pas très surpris, pour cette raison que la réalité ne dut pas lui apparaître aussitôt. Il crut probablement qu’il était le jouet d’un rêve et d’une hallucination, et il dit à mi-voix :

« Véronique… Véronique… »

Un peu gênée sous le regard de Stéphane, elle acheva de défaire les liens, et, quand il eut senti nettement sur ses mains et autour de ses jambes captives les mains de la jeune femme, il comprit le merveilleux événement de cette présence, et il dit d’une voix altérée :

« Vous !… Vous !… Est-ce possible ? Oh ! dites une parole… une seule… Est-il possible que ce soit vous ?…

Presque en lui-même, il reprit :

« C’est elle… c’est bien elle… la voici… »

Et aussitôt avec anxiété.

« Vous !… La nuit… les autres nuits… ce n’était pas vous qui veniez ? c’était une autre, n’est-ce pas ? une ennemie ? Ah ! pardon, de vous demander cela… Mais c’est que… je ne me rends pas compte… Par où êtes-vous venue ?

— Par là, dit-elle en montrant la mer.

— Oh ! fit-il, quel prodige ! »

Il la regardait avec des yeux éblouis, comme on regarderait quelque vision descendue du ciel, et les circonstances étaient si étranges qu’il ne songea pas à réprimer l’ardeur de son regard.

Elle répéta, toute confuse :

— Oui, par là… c’est François qui m’a indiqué…

— Je ne parlais pas de lui, dit-il. Vous ici, j’étais sûr qu’il était libre.

— Pas encore, dit-elle, mais dans une heure il le sera. »

Un long silence commença qu’elle interrompit pour masquer son trouble :