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L’ÉCLAT D’OBUS
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précieux où Paul et moi nous devions vivre. Quel déchirement !

« Les nouvelles de la guerre sont mauvaises. J’ai beaucoup pleuré.

« Le prince Conrad est venu. J’ai dû le recevoir, car il m’a fait avertir par Rosalie que si je n’accueillais pas ses visites les habitants d’Ornequin en subiraient les conséquences ! »


À cet endroit de son journal, Élisabeth s’était encore interrompue. Deux jours plus tard, à la date du 29, elle reprenait :

« Il est venu hier. Aujourd’hui également. Il s’efforce de se montrer spirituel, cultivé. Il parle littérature et musique, Goethe, Wagner… Il parle seul d’ailleurs, et cela le met dans un tel état de colère qu’il a fini par s’écrier :

« — Mais, répondez donc ! Quoi, ce n’est pas déshonorant, même pour une Française, de causer avec le prince Conrad !

« — Une femme ne cause pas avec son geôlier.

« Il a protesté vivement.

« — Mais vous n’êtes pas en prison, que diable !

« — Puis-je sortir de ce château ?

« — Vous pouvez vous promener… dans le parc…

« — Donc entre quatre murs, comme une prisonnière.

« — Enfin, quoi ? Que voulez-vous ?

« — M’en aller d’ici, et vivre… où vous l’exigerez, à Corvigny, par exemple.

« — C’est-à-dire loin de moi !

« Comme je gardais le silence, il s’est un peu incliné et a repris à voix basse :