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compagnait. Il chercha du moins à la connaître afin de l’atténuer.

Elle se réduisait à deux causes : l’une était la torture vague et constante des voyages solitaires pour qui est la proie de quelque mal. On se sent un étranger. Nulle sympathie ne vous réchauffe. Le mal a beau jeu, qui vous ronge. L’autre plus active, provenait de son amour meurtri.

Ces découvertes le ravirent. « Je souffre parce que j’aime, se disait-il, si je ne souffrais pas de cela, n’aurais-je pas à craindre ce que j’évite si soigneusement ? »

Il pénétra jusqu’au plus intime de sa conduite. Certes il avait respecté Aniella pour des raisons sublimes et rien n’amoindrissait le désintéressement de son acte. Mais il se trouvait précisément que ce procédé avait transformé son amour en une obsession de toutes les minutes. Là résidait le salut. Il eût pris la jeune fille que l’assouvissement de son désir aurait diminué, sinon aboli, sa passion, le laissant, lui, sans armes contre la redoutable pensée.

— Aimons-la bien, s’écria-t-il, raffinons notre supplice, infligeons-nous le doute, la jalousie.

Il s’assit sur une pierre du chemin, afin d’y pleurer à l’aise.

Puis il se mit en marche et admira les voies détournées que choisissait son instinct de bonheur, voies si secrètes qu’il pouvait légitimement proclamer la beauté de sa conduite, quoiqu’en devinant l’égoïsme initial.