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Des vertiges l’ébranlèrent comme la vue d’un gouffre vous tourne la tête. Toute réflexion lui fut interdite. Il n’essaya même plus d’établir sa conduite sur des raisonnements spécieux ni de se jouer la comédie. Il devint la proie d’hésitations affreuses. Tour à tour le dominaient l’ambition de jouir, la peur de l’échafaud, la peur du remords, malgré que ses précédents calculs lui eussent démontré la vanité de toute terreur. Ses instincts le tiraillaient et, toujours ils étaient contradictoires. L’un voulait ceci, l’autre cela. Auquel obéir ? Sitôt que l’un l’emportait, l’autre se dressait plus impérieux. L’alternative se présentait implacable : tuer ou s’en aller. Tuerait-il ? S’en irait-il ? Que de fois s’énonça cette question en son esprit malade.

Torture inexprimable, l’incertitude le déchirait au point que souvent il se ruait au meurtre, résolu. Il tuerait. Et il tuerait au hasard, sans s’inquiéter du fameux plan, sans précautions. Son couteau planté dans la gorge du vieux, ni l’odeur du sang, ni le danger, ni les conséquences, rien ne diminuerait le soulagement de ne plus hésiter.

L’hiver venait. À son supplice, une misère s’ajouta : le manque de feu. M. Hélienne refusant de chauffer la maison, Marc grelottait dans sa chambre, et gardait le lit des journées, en état de fièvre ininterrompu.

Plus que tout, cette souffrance physique le monta contre son père. Du fond de son corps frileux jaillirent des bouffées de haine sauvage, une haine d’homme primitif qui lui serrait les poings et provoquait des envies de destruction.