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versations, ses réticences sur le mode à employer, son effroi devant tout procédé brutal, subterfuges pour s’habituer à l’éventualité d’un crime discret ; ses biais, route de traverse pour arriver plus sûrement ; ses rêves de bonheur, ruses pour exaspérer son désir de richesse.

Aujourd’hui, seulement, puisqu’il ne mentait plus, il pouvait s’interroger en toute franchise. Tuerait-il ? Ayant tout préparé avec une patience et une dissimulation prodigieuses, agirait-il ?

Mais avant même qu’il pût connaître le vœu secret de son âme, un doute le heurta : si la résistance n’était plus possible, s’il était trop tard déjà ! La tentation nouvelle différait tellement des envies vagues et des espoirs anodins contre lesquels il se proclamait si fort ! Elle était pour ainsi dire tangible et l’effort à faire réduit au plus simple geste.

— Cela m’est aussi aisé, songeait-il, que de cueillir une fleur, de détacher un fruit de son arbre, d’écraser un insecte.

Cette dernière comparaison lui plaisant, il y insistait sous les yeux de son père.

— Voici la nappe, j’avise un puceron, j’appuie mon index sur lui et le puceron n’est plus. L’extermination de cette bestiole supposerait mon déplacement de cette chaise qu’évidemment je la laisserais tranquille. Ainsi, du vieux. Je puis l’anéantir à ma guise. Mais si cela me coûtait la moindre peine, je ne pourrais m’y résigner.

Il se rappelait le problème légendaire : « Remuez votre doigt, et quelque part, un infirme, un lépreux mourra, et vous serez riche. »

Il n’avait qu’à remuer son doigt.