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sance. Il s’en félicitait comme d’un enfant bien fait, conformé selon les règles, pourvu de bonnes jambes et de bons bras.

À tout instant, il le soumettait aux plus rudes épreuves. Les fautes sont multiples où trébuchent les coupables. On voit d’habiles gens échouer par une négligence. Marc étudia le cas des plus fameux meurtriers. Un tel, ceci le dénonça ; tel autre, cela. Aussitôt, il se demandait si son plan présentait les mêmes imperfections. Quel orgueil de constater que ce plan demeurait inattaquable et réduisait au minimum — l’imprévu subsiste toujours — les chances d’insuccès !

Donc, de l’aventure, il s’échappait indemne. Restait sa conscience, justicier plus redoutable que les juges humains, parce qu’il sait tout et ne se lasse pas de punir. Se rappelant sa faculté d’émotion à propos d’un acte non commis, mais dont il s’imaginait la perpétration, il tâcha de se procurer l’effroi qu’inévitablement lui réservait l’avenir.

Il se répétait :

— Mon père est mort, mort par moi.

Cette idée le laissait indifférent. Il recommençait d’autre façon et, contemplant le vieux, se disait :

— Je suis en train de tuer mon père.

Vision possible et conséquemment fatale, alors qu’elle reproduisait une scène quelconque, de lutte, d’égorgement, d’agonie ; mais vision impossible maintenant que cette scène n’existait plus.

À l’extrême sensibilité de son cerveau où l’image d’un crime purement hypothétique s’enregistrait avec rigueur et provoquait une émotion anticipée, il comprit que l’image d’un crime réel