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Le cours des faits et des actes aboutissait là, entre les quatre murs de sa prison. Il se retrouvait lié de tous les membres, incapable de bouger. De tels cas émeuvent le cerveau, et l’on réfléchit malgré soi. Il s’y disposait quand une vive souffrance lui brûla l’estomac. Il avait faim. Cela le fit rire. Il se dit :

— Je ne manque ni d’intelligence, ni d’instruction, ni d’adresse. Mais depuis trente heures, je manque de pain. C’est assez comique.

Comment les événements l’avaient-ils amené à cette extrémité, il ne le savait pas trop ; encore moins comment il avait pu consentir à ce que Juliette s’en allât à la recherche d’un homme, et comment elle osait s’enfermer avec cet homme dans la chambre contiguë :

— J’ai faim, et ma maîtresse se prostitue pour que je n’aie plus faim ; voilà le résultat de dix années.

Dix années de lutte ! Il ne se souciait point d’en évoquer les détails, mais elles lui apparaissaient comme une époque de combats farouches et de tentatives opiniâtres. Il gardait cette courbature qu’inflige un fardeau trop pesant. C’eût été bon de se redresser et d’aspirer librement de l’air pur.

Combien différait son entrée en campagne, lorsqu’il s’installait à Paris dans une mansarde, seul logis propre à ceux qui ont résolu de conquérir la capitale ! Tout lui souriait. Il possédait quelques centaines de francs, de nobles rêves et une ambition convenable. Durant dix mois, la tête hors de sa lucarne, il ruminait des plans. Sous ses yeux s’étendait la grande ville, ce qu’il appelait son champ de bataille, en réalité une douzaine de toits et un horizon de cheminées. Il les contemplait orgueilleuse-