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Des jeux enfantins le divertirent. Qui avançait le plus vite, de l’eau ou de lui ? Une feuille entraînée par le courant lui apprit son avantage. Puis, du revers de sa canne, il abattit des roseaux. L’amusement consistait à les briser d’un seul coup.

Mais un arbre l’arrêta, limite extrême de son domaine. Il se remémora son serment. Passerait-il outre ? S’en irait-il de cette vallée vers Paris, vers le monde ?

Il n’hésita pas. Au delà le péril subsistait toujours, agrandi même. D’irréparables pensées luisaient maintenant dans le chaos de son esprit, et à leur clarté, il marcherait au mal, comme à la lumière des étoiles les navires se dirigent parmi les ténèbres. Il savait que, seule, sa pauvreté le séparait du bonheur, de la science, de la gloire. Et cette pauvreté, la richesse des autres en est le remède. L’occasion sollicite, oblige parfois. Tenté, il succomberait.

Ici, du moins, la tentation pouvait l’envahir, non le contraindre. Ce qui serait, en face d’un étranger, des scrupules aisément dominables, deviendrait en face du père une impossibilité physique. Contre l’assaut de tous ses instincts, contre la coalition de tous les sophismes entassés par lui et de toutes les causes de haine créées par les circonstances défavorables, un motif d’inaction prévaudrait, l’horreur du parricide. De fait, cette horreur le hanta. À table, au jardin, les yeux obstinément fixés sur son père, il évoquait la vision. Le même frisson lui soulevait la peau.

Souvent il admettait la chose comme accomplie, et il cherchait à se représenter son existence alourdie de ce souvenir. Il l’augurait maladive, désemparée,