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tait la seule chose jolie de son existence, si jolie que les autres choses n’en paraissaient que plus vilaines. Pour la première fois, il avait agi sans calcul. Ce souvenir le gênant, trop beau et trop pur, il le souilla d’un doute. Et il ricanait :

— N’est-ce pas quelque artifice suprême ? Pour abolir définitivement le passé, j’avais besoin d’une crise suprême. Ne l’ai-je pas inventée de toutes pièces ? Sinon, comment expliquer mon oubli de Bertrande dès que mon repos exigea la fuite ?

Bertrande ne fut plus dans sa mémoire qu’une silhouette vacillante et chaque jour moins précise, et de la sorte il détruisit la douce aventure d’amour qui avait failli le sauver.

Alors les murs de sa prison lui cachèrent tout espace et toute lumière. Il était condamné au bonheur, à un décevant, ténébreux et stérile bonheur. Aux rares instants de conscience, il s’aperçoit qu’auprès de lui achève de pourrir le cadavre de son âme. Ils sont enfermés ensemble, corps veule et âme décomposée. Et de cette victime imprévue, parfois il a des remords.


FIN