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quelque temps. Il considérait Louise comme idéalement supprimée. Il s’étonnait même qu’elle persistât à respirer et à dire des mots. Il restait bien entendu que c’était provisoire, qu’au premier signal elle s’en irait et laisserait la place à Bertrande, la seule digne de lui.

Mais au commencement d’octobre, un jour de pluie et de vent glacé, Louise demanda :

— As-tu fixé la date de notre départ ? La saison devient mauvaise pour les enfants.

Et Marc, au mouvement de haine qui le secoua, s’aperçut qu’elle vivait et escomptait tout un avenir de vie. Il répondit brutalement :

— Si tu t’ennuies, tu n’as qu’à partir.

— Je t’attendrai, fit-elle.

En lui-même, il murmura :

— Alors, ma petite, tu ne partiras pas d’ici.

Il savait maintenant qu’il la tuerait. Dans sa lutte contre la tentation, il avait succombé. Ce fut un soulagement, comme à l’époque de son père, car cette lutte l’épuisait. Loyalement, il se mit en quête d’un procédé.

Les modes de suppression défilèrent à nouveau. Il les examinait de tout près, avec le ferme désir d’en élaborer un qui réunît tous les avantages. Mais son imagination languissante le laissait piétiner dans un cercle de ténèbres lourdes.

Il eut des remords envers Bertrande. Elle ne cachait plus sa tristesse.

— Pardon, s’écriait-il, je t’ai promis le bonheur, et je manque à mon serment… ce n’est pas faute de courage… c’est le hasard… patiente un peu.