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sa vie est en jeu. Responsable de sa détresse, capable de l’en affranchir, je suis tenu à me dévouer.

Il brûlait d’atterrir. En quittant Bertrande, il s’écria :

— Aie confiance, chère amie, je veille.

Il courut au Prieuré. Son devoir le stimulait. Il faisait bon marché de lui-même, de ses scrupules, de ses appréhensions, de sa femme surtout. Il se hâtait vers elle, comme s’il lui eût suffi d’arriver pour qu’elle consentît à se retirer de ce monde, sans bruit ni scandale. Un tel esprit d’abnégation l’animait qu’il en dotait les autres ainsi que d’un sentiment presque vulgaire.

En présence de Louise, il eut cependant l’intuition qu’un petit effort personnel ne serait peut-être pas inutile. Il y était tout disposé et tandis qu’il répétait machinalement :

— Comment vais-je m’y prendre ? Que diable inventer ?

Il s’affermissait dans son projet par des phrases pleines de logique :

— À quoi sert-elle ? Qu’elle soit ou non, qu’est-ce que cela change ? A-t-elle une existence propre, un cerveau, une âme ?

Et en toute sincérité, il estimait que sa disparition n’eût froissé ni loi humaine, ni règle de nature.

Il employa sa soirée à se féliciter de sa décision. Somme toute, il devait choisir entre deux morts, celle d’un être superficiel, égoïste, inintelligent, et celle d’un être d’élection et de puissance. Le dilemme était très simple : l’une ou l’autre. Il n’éprouvait aucun embarras à condamner sa femme, sans songer toutefois qu’il lui faudrait exécuter la condamnation.

Cet état de volonté négative dura