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— Bertrande, Bertrande, se dit-il, c’est toi qui dois me suivre.

Il perdait si bien la raison qu’il essaya encore ce qu’il savait impossible, il proposa, presque joyeux :

— Demain, mon amie, je vous attendrai au bas de la petite côte, vis-à-vis de la gare, dès que la nuit tombera. Je serai là, en voiture… deux bons chevaux de poste. Nous galoperons toute la nuit jusqu’à Nantes. N’est-ce pas ?

Il se révolta de son refus. Pour la déterminer, il eut envie de lui exposer la situation. Quel argument solide ! Quel dilemme implacable que cette double phrase :

— Ou bien tu m’obéiras, ou bien je tuerai ma femme.

De la sorte, un refus la rendait complice, pis que cela, instigatrice du crime, puisqu’elle ne voulait pas sauver son amie d’enfance.

Ne pouvant se résoudre à l’aveu brutal, il insinua.

— Votre promesse est formelle, Bertrande, n’est-ce pas ? Libres tous deux, nous serions l’un à l’autre ?

Elle répondit :

— Oui. Marc, et je ne demanderais plus rien à l’existence.

— Alors…

Il la regardait profondément. Le son des mots révélateurs lui martelait le cerveau, et il les articulait syllabe par syllabe, avec la volonté ardente qu’ils fussent perceptibles pour elle comme pour lui. Comprenait-elle ? Un instant, il le crut, et cela l’épouvanta car s’il trouvait un appui en Bertrande, il agirait, inévitablement, il agirait. Il murmura :

— Vous voyez bien qu’il faut nous en aller… Je vous en prie, allons-nous-en.