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sidaient au salut de Bertrande. Il craignait sa pudeur, cet instinct subtil qui s’adapte à la peau comme une enveloppe de résistance. Il se rappelait ses scrupules de fille, d’amie, de provinciale. Tout cela veillait. Et une rage envahissait Marc, à se cogner contre ces vains obstacles, mots, règles stupides, usages mesquins, lois sociales. Il ricanait, lui qui avait enfreint impunément la plus haute et la plus immuable de ces lois.

— J’ai tué mon père et je ne puis couper les petits liens fragiles qui entravent cette liberté et lui défendent de s’allier avec la mienne, avec mon inaccessible liberté, à moi !

Il le tenta. Il lui démontrait l’ineptie de la contrainte, la noblesse des révoltes, la légitimité des satisfactions personnelles. Puis, désespéré, il s’écriait :

— Vous m’écoutez, Bertrande, mais vous ne m’entendez pas, vous n’essayez pas d’entendre. Voyons, admettez que vous ayez tort… Supposez ceci : vous avez tort… Oh ! Bertrande, la surface de votre pensée est immobile. Je la vois, rien ne l’agite… Et pourtant notre bonheur dépend peut-être d’un peu de volonté.

Elle répliqua :

— Quand je comprendrais mon tort, pauvre cher Marc, cela ferait-il que je ne veuille plus avoir tort ?

À son tour il gémit :

— Je suis perdu, je suis perdu.

Elle ne lui appartiendrait jamais. Leurs âmes auraient vibré conjointement comme deux sons de même valeur qui s’accordent. Elles ne se seraient pas confondues par l’entremise indispensable des corps, dans le grand frisson créateur du baiser. Leur amour res-