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rer comme la source de tout plaisir, de toute peine, même de toute impression étrangère. Il ne voyait et n’entendait plus qu’à travers la jeune fille. Elle recevait les sons, les couleurs, les parfums, les formes, et les lui transmettait affinés et embellis.

Il remarqua que sa conduite changeait à l’égard des enfants. Elle ne criait plus ni ne courait avec eux. Elle jouait doucement, les câlinait, inventait de jolis contes naïfs.

D’ailleurs, son attitude générale se modifiait de même. Elle fut la femme qu’il avait conçue au début de leurs relations, grave et chaste et d’allures lentes. Mais elle l’était à l’heure opportune. Amoureuse, pouvait-elle rester la gamine turbulente, que, libre, elle avait le droit d’être ?

Peu à peu, cependant, il s’inquiéta, car souvent il la trouva triste. Ces passages de tristesse le détraquaient immédiatement en lui faisant perdre le contact d’âme auquel il s’attachait comme au salut. Durant des minutes, Bertrande s’en allait de lui. Sa pensée s’occupait d’autre chose. Il se croyait abandonné ainsi qu’un aveugle dont on quitterait la main.

Elle lui dit :

— Venez ce soir à la Bernerie, je vous expliquerai…

En s’y rendant, il songeait :

— Elle va me faire du mal, elle a choisi cet endroit pour atténuer le mal qu’elle va me faire.

Il ne vit rien du ciel ni de la terre, et il n’avisa point le mince croissant de lune qui s’accrochait à la nuit. Y avait-il des vagues, du vent, des étoiles ? Jamais cette soirée ne lui apparut avec un cortège de phénomènes physiques.