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dive ! D’ailleurs la franchise de son trouble ne faisait pas de doute. Loyalement et profondément il avait joui et souffert. Mais l’excès même de ce trouble l’épouvantant, il se cramponnait à son subterfuge :

— L’amusante comédie ! La jolie machination de décors et d’attitudes ! Et tout cet attirail d’âmes qui s’étreignent, d’âmes palpables qui ont des bras, des mains et des lèvres ! comment, diable ! ai-je inventé ce mariage mystique au clair de la lune ?

Il se persifla durant deux jours. Puis, un matin, Bertrande vint déjeuner. Leurs yeux se rencontrèrent. Et son ironie s’écroula comme un château de cartes. Il ne tenta plus de la reconstruire.

À peine parla-t-il, au repas, tout engourdi de bien-être. Il reconnaissait la volupté simple de l’autre soir, et, quoiqu’il fût loin de la jeune fille, et que la voix d’étrangers s’élevât entre eux, cette volupté lui semblait aussi complète.

Également il la regardait et l’écoutait peu. Tout au plus il remarqua qu’elle remuait et causait moins. Mais aucune de ses paroles et aucun de ses gestes ne le froissait comme d’habitude.

On servait le café sur la terrasse. Hélienne se promena dans le jardin, sans perdre de vue le groupe des personnes assises, et de temps en temps, il revenait auprès de Mlle Altier, frôlait sa robe, se mêlait à son atmosphère, comme pour reprendre un contact plus intime. Et chaque fois il était certain d’agir selon le vœu précis de Bertrande. Il finit par se tenir debout contre sa chaise. Alors ils ne dirent plus rien. Une plaine semée d’arbres s’étendait au-dessous d’eux, prolongée en un horizon