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lui saisit la tête que sa mémoire ne se rappelait plus qu’une béatitude délicieuse. Le temps s’écoulait sans qu’il pût le déterminer par des minutes ou par des heures. Il vivait mille fois davantage qu’on ne vit d’ordinaire, et cependant il ne s’apercevait pas qu’il vivait. Un unique détail s’était imposé durant un moment : il entendait son cœur et il entendait celui de Bertrande. Or son cœur à lui battait plus vite. Et il s’en chagrina. Et il fit si bien que les deux cœurs battirent ensemble ; à l’unisson. Pourquoi cet enfantillage ?

Il ne se souvenait pas de leur départ. Qui s’était levé le premier ? Quel chemin avaient-ils suivi ? Il se revoyait au carrefour de Pornic, adossé contre un arbre et tâchant de dérober à l’obscurité de la route la silhouette qui s’y perdait. Et quand elle se fut éloignée entièrement, ses yeux fouillaient encore la masse d’ombre où elle avait disparu. Pourquoi ?

— Ah ! ça, se demanda-t-il, est-ce que je l’aime ?

Il sourit. Cette hypothèse heurtait trop brutalement l’opinion plutôt antipathique qu’il se formait auparavant de la jeune fille.

Hélienne retourna, le soir, à la Bernerie, pour y recueillir les vestiges de son enthousiasme. Il s’attendait à une résurrection au moins partielle. Il mit son imagination aux prises avec la mer, avec la grève, avec une odeur de pin, avec un gazouillement d’oiseau. Rien n’en agita le calme morose.

— Eh ! parbleu, pensa-t-il tout d’un coup, c’était une comédie.

Il mentait, et il ne fut pas la dupe de son mensonge. Car, dans la sécurité de sa vie, à quoi bon cette comédie tar-