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et du grand bien. Aussi docile qu’un parfum au gré du vent, il se laissait bercer et imprégner par la beauté du monde. Se soulevant à demi, en un soupir de détresse, il murmura :

— Bertrande, Bertrande.

Il y eut un silence insondable où se prolongeait le souffle des syllabes. Ardemment, il souhaita qu’elle n’eût point entendu. Elle ne bougeait pas. Mais il ne la sentit plus aussi près de lui. Il avait relâché les liens du charme qui l’attachait à elle. La poésie de la nuit s’atténua. Il vit, sans s’étonner, le disque total de la lune.

Et soudain, Bertrande se leva. Allait-elle partir ? Il fut éperdu d’angoisse. Elle partit.

Désespérément, il étendit les bras vers celle qui emportait sa vie, la vie de son âme naissante. Cela le déchirait comme si les chaînes rompues eussent été de la chair qu’on coupât.

Il était seul. Il eut froid.

Alors il rampa à terre, car ses jambes n’avaient plus de force et ainsi qu’un misérable, il se traînait à genoux vers la forme fuyante. Elle s’éloignait lentement. Une fois, elle s’arrêta. Il se mit à marcher. Puis elle reprit sa route, en mouvements indécis, montant la plage ou la suivant. Et il ne sut pas comment ils se retrouvèrent au haut de la dune, Bertrande assise, lui couché près d’elle.

Aussi exactement qu’un corps s’enlace à un corps, il eut la sensation que son âme s’enlaçait à celle de la jeune fille. Plus douce qu’avant, la volupté revint. Il avait failli la perdre et rien ne la vaut. Mais elle ne s’égrena pas en impressions distinctes, chanson des flots ou blancheur de lune. Elle fut toute la volupté de l’entière nature. Et c’est imprégné de cette ivresse que Marc implo-