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sincèrement ce qu’il avait jadis éprouvé mensongèrement en Sicile et en Algérie. En quoi consistait la métamorphose ? Il l’ignorait, refusant même de l’analyser, mais il savait qu’il était sincère et que tout était changé en lui et autour de lui.

Du silence sacré et de la solitude, volait vers Marc l’essaim des impressions et chacune d’elles lui semblait doublée, comme une voix qui ne pourrait vibrer sans écho. Dans le même ordre et avec la même intensité, chacune les troublait l’un et l’autre.

Ainsi ils entendirent un oiseau, puis ils virent une lueur à l’horizon, puis des chiens hurlèrent, puis passa un arome de pins, puis une étoile fila. Et ainsi dans le chant continu de la mer, ils perçurent simultanément le bruit de certaines vagues, comme les notes distinctes d’une mélodie lointaine.

Et tout cela était nouveau et d’une importance extrême, et tout cela frappait Marc d’une empreinte plus profonde. Il se demanda :

— En serait-il également si je me trouvais seul ?

Il ne put pas, il ne voulut pas répondre. Penser, c’est flétrir la pureté de l’émotion. Il devina que l’idée est vile quand l’âme tressaille.

La nuit souveraine se couronna de blancheur. Derrière des collines noires, la lune surgit. Marc n’eut plus le courage de regarder.

Il se cacha les yeux et colla son front contre le sable. Mais ne voyait-il pas par d’autres yeux ? Ne voyait-il pas, sur la grève, des nappes de lumière qui s’élargissaient, et la tête des vagues qui s’argenta d’écume, et l’air qui fut ainsi qu’une nuée bleue. La volupté de sentir inonda Marc, proie effarée du grand mal