Page:Leblanc - L'œuvre de mort, paru dans le Supplément du 23 mars au 24 juin 1897.pdf/17

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Antoine, n’est-ce pas ? En trois mois il a fait chez un pâtissier une note de quarante francs. Eh bien, je serais son père, moi, que je le démolirais à coups de poings, tu entends, à coups de poings.

Et sous le nez de l’enfant terrifié, il promenait sa main menaçante.

Les angoisses de M. Hélienne augmentèrent avec l’âge de Marc. L’heure de la liberté approchait, c’est-à-dire l’émancipation qui permet de se ruiner pour les filles et de souscrire des billets. Les dernières années de collège, il fut inflexible. Marc se souvenait toujours d’un soir de sa seizième année où son père arriva d’un pas furieux. Durant le dîner, nulle parole. Seulement, entre chaque bouchée, M. Hélienne le foudroyait du regard. Inquiet, Marc examinait sa conscience et recherchait l’emploi de sa journée. Au dessert, il choisit parmi les quatre mendiants celui auquel il avait droit et tenta de s’esquiver sans bruit.

Mais M. Hélienne se leva, marcha vers lui, les sourcils froncés, les yeux implacables, le fit reculer jusqu’au mur et, d’une voix contenue, grinça.

— Victor Ledoux a mis son père sur la paille !

Il y eut un grand silence solennel. Tous deux, visage contre visage, commentaient, chacun selon son point de vue, l’horrible catastrophe. Le vieux frémissait d’indignation. Le jeune s’efforçait en vain de se rappeler ce Victor Ledoux, dont il entendait le nom pour la première fois. Puis M. Hélienne répéta :

— Retiens bien ceci : Victor Ledoux a mis son père sur la paille.

Jamais Marc n’en sut plus long au sujet de ce vaurien.