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tude, le condamnaient au malheur ; après le crime, renouvelées, elles se résolvaient en chances de bonheur.

Ces chances varient selon les individus. Les uns réclament l’amour, ou la solitude, ou la gloire, ou la puissance. À lui, il fallait le bien-être, la sécurité, la paix du sommeil, le fonctionnement régulier du cerveau et de tous les organes. Certes il formait d’autres vœux dont la réalisation satisferait son âme ambitieuse. Mais, en premier lieu, il exigeait l’assouvissement d’instincts plus matériels, — infériorité explicable quand on a souffert justement dans ces instincts.

Donc l’acte lui fournissait les matériaux nécessaires. « Est-ce suffisant ? À beaucoup le crime apporte les conditions voulues, qui n’en savent pas profiter. » Il avait su, lui, et son extrême habileté le dotait d’une extrême confiance.

C’est que les bases de son bonheur n’étaient point naturelles et que, pour construire sur un tel terrain, il devait user de moyens inconnus, adaptés aux circonstances et chaque fois différents. C’est que les embûches sont mille fois plus nombreuses contre qui fait son bonheur que contre qui le reçoit tout fait.

Ces moyens, ces embûches, il se plaisait à les évoquer. — Sa façon de tuer lui évitait l’image qui hante. Son séjour à Capri le laissait ignorant de la date, du lieu, de l’heure. Sa conduite avec Aniella courbait sur le moment toutes ses pensées vers elle seule, changeait la tristesse du voyage postérieur en regrets d’amour, et plus tard substituait à la vision de son père la vision de cette enfant. Puis, successivement, il escamotait les années dangereuses, l’une en