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de paysages identiques, parcourant chaque jour une distance analogue. C’était l’hiver. Marc ne sortait plus le soir, acoquiné au coin du feu. Les Doré venaient. On se livrait aux délices des cartes.

Il souriait bien de la mesquinerie de ces plaisirs, seulement ce sourire, tout extérieur, masquait le charme stupide qui le retenait entre ses parents, à manier des valets et des rois, à se passionner pour l’issue de ces luttes familiales. Il en prévoyait le retour avec une impatience secrète.

Le travail remplissait les matinées. En cela, il se montrait fort strict, quoique ce travail consistât le plus souvent à suivre des yeux la danse des flammes : car en vain il polissait et repolissait sa théorie du remords, l’œuvre ne le contentait point. Mais toute réflexion est bienfaisante, écrite ou rêvée.

Et ainsi Marc pensa qu’il était très heureux. Et il l’était depuis longtemps, depuis le crime peut-être, sans que l’anomalie de ce bonheur lui permît de se l’avouer.

— Je suis heureux, je suis heureux, disait-il, étonné que l’assemblage de ces trois mots insignifiants prît dans sa bouche un sens aussi formidable. Qu’ai-je fait pour être heureux ? La recherche des causes n’est pas puérile. De jouir sans savoir pourquoi, je risque de m’attaquer à l’une des raisons de cette jouissance. Suis-je heureux parce que j’ai agi, ou parce que l’acte m’a donné les conditions où je pouvais l’être, où je devais l’être ?

Dés l’abord, il adopta cette hypothèse, évidente du reste. La vérité s’exprimait brièvement : avant le crime, les conditions de sa vie, misère, faim, incerti-