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trouvant, par la mort de sa femme, seul responsable de leur fils, le traita d’après ce double principe : il ne faut pas trop manifester aux enfants la tendresse qu’on leur porte, mais on se doit de pourvoir à leur éducation.

En conséquence, à l’âge de sept ans, le jeune Marc fut jeté dans un collège de province. De Dieppe à Paris les voyages sont chers, ce qui permit à M. Hélienne de ne payer ce luxe à son fils qu’en l’honneur des grandes vacances.

L’enfant d’ailleurs y tenait peu. À la maison, on le forçait à huit heures de travail que ne compensaient ni liberté ni récréation. Son père le réveillait lui-même, dès l’aurore, en lui arrachant d’un coup ses couvertures et ses draps, sensation affreuse que ne devait jamais oublier Marc, non plus que la joie maligne du bonhomme devant ce corps transi et l’effarement de ce réveil. Puis M. Hélienne lui offrait la solitude et l’obscurité d’un réduit, le munissait de plumes, de papier et d’encre et s’écriait :

— Va, mon gaillard, pioche.

C’était un de ses mots. Il l’accompagnait d’un mouvement de corps résolu, comme s’il enfonçait une pioche jusqu’aux entrailles de la terre.

Le petit piochait. Quoi ? Cela n’importait point. Il suffisait qu’il remplît un certain nombre de pages. Et il les remplissait bravement, au moyen de quelque phrase indéfiniment répétée.

Les repas variaient son supplice. Pour mieux masquer une affection qu’il n’éprouvait nullement, le bijoutier bourrait son fils de réprimandes. Il le grondait à tout propos, qu’il fît bien ou mal, qu’il s’insurgeât contre les règles prescrites ou qu’il s’y soumît. À la fin, le malheu-