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Il dormit fort tranquillement.

Ce ne fut pas par déférence au programme que Marc séjourna une semaine à la campagne comme il l’avait annoncé. Il s’y plaisait. De paresseuses promenades le conduisaient à travers la vallée, et chacune d’elles renouvelait une promenade antérieure, sans qu’il cherchât cependant à prendre tel sentier plutôt que tel autre. Mais son instinct lui soufflait d’établir des comparaisons qui, fatalement, tournaient à l’avantage de l’heure actuelle.

Et de fait, comme tout était différent en lui et hors de lui ! Les mêmes arbres n’offraient plus le même aspect. Ses rapports avec la nature se nuançaient d’amitié, de confiance, surtout dans les limites de son domaine, où il le contemplait en possesseur.

Son domaine ! mot juste, plus juste que naguère quand il le parcourait, la tête basse et l’esprit écartelé par l’hésitation. Alors c’était le préau où les prisonniers broutent un peu d’air, aujourd’hui la plaine infinie où il s’enivrait de liberté. Son pied le foulait hardiment. Son rêve s’y installait en maître.

— Oui, quelle différence ! Entre le passé et le présent, entre l’être que je suis et l’être que j’étais, il y a quelque chose de formidable. Or, je sais ce qu’il en est de ce quelque chose. Pourtant, malgré moi, quand je suis en état de non réflexion, en l’état passif où l’on subit l’effleurement d’idées rapides, j’ai une obscure sensation de conquête.

Il ne se trompait pas. La contradiction éclatait : d’un côté l’acte ignominieux, de l’autre les bouffées d’orgueil qu’il en tirait parfois. C’est que, s’abstenant de songer à l’essence de cet acte, il n’en considérait que la valeur en tant