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nir naît de données quelconques. De quelles données en son cas ? Où l’exécution de l’acte avait-elle eu lieu ? En un mot, où son père était-il mort ? Dans la chambre sans doute, peut-être toutefois dans la salle, ou dans le jardin, ou à dix kilomètres de la maison… Qu’en savait-il ?

Et la date ? La date est un point de repère fâcheux. Elle revient chaque année, chaque mois implacablement. Le jour, de même. Si ce fut un mardi, chaque mardi est un jour sinistre. Il ne savait, lui, ni le jour, ni la date. Cela s’étendait sur une durée de quatre ou cinq semaines. Et encore rien ne démontrait que le vieux n’eût pas, pendant ces quatre ou cinq semaines, suspendu ses remèdes.

La connaissance de l’heure constitue également un principe fixe. Au retour quotidien de cette heure, la vie s’interrompt, et ce sont les minutes du passé qui remplacent les minutes du présent. L’horloge qui sonne le nombre de coups fatidiques accuse sans merci. Il ne savait pas l’heure.

Et de toutes les circonstances secondaires, le temps qu’il fait, le bruit de tel petit choc, le chant d’un oiseau, l’hésitation d’une bougie, de tous ces infimes détails qui sont les nerfs du souvenir, aucun ne pouvait vibrer en sa mémoire vide.

— Rien ne sort de rien, s’écria-t-il et vraiment je ne sais rien. En somme, c’est un acte que j’ai combiné, dont j’ai appris le résultat, mais que je n’ai pas exécuté, un acte vague, vaporeux comme une forme de brouillard, sans commencement ni fin, et en conséquence se réduisant en une impression aussi inconsistante.