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L’un d’eux risqua :

— Mais… le trésor… ?

Dorothée remarqua leur attitude hostile. Sans aucun doute ils se défiaient, et l’idée de laisser d’Estreicher, avant le partage du butin, leur semblait dangereuse pour leurs intérêts.

— Le trésor ? s’écria-t-il. Et après ? Croyez-vous que je vais l’avaler, imbéciles ? Vous aurez la part promise, puisque c’est juré. Et une belle part !

Il les rudoya tous les trois, impatient d’être seul.

— Au galop ! Ah ! j’oubliais… Appelez vos deux camarades en faction, et, à vous cinq, emportez le faux marquis. On le jettera à la mer. Comme ça, ni vu ni connu. Filez.

Les complices se concertèrent un moment… Mais leur chef avait de l’ascendant sur eux, et tout en grognant, avec des mines peu rassurantes, ils obéirent à ses ordres.

— Six heures, dit-il, en consultant sa montre. À sept heures, je vous rejoins de façon que nous puissions débarquer au début de la nuit. Et que tout soit prêt, hein ? Mettez en ordre la cabine… Il y aura peut-être un passager de plus.

De nouveau, il regarda Dorothée et scanda pendant que ses complices s’en allaient :

— Un passager ? Ou plutôt une passagère, n’est-ce pas, Dorothée ?

Elle ne répondit point, toujours impassible. Mais son angoisse devenait de plus en plus lourde. L’instant redoutable approchait.

Il tenait toujours à la main l’enveloppe et le document du marquis. De sa poche, il tira un briquet qu’il alluma, tandis qu’il relisait les instructions.

— Admirable ! murmura-t-il, en se pâmant d’aise… De premier ordre !… Autant chercher au fond de l’enfer… Ah ! ce marquis, quel homme !

Il tordit le papier en une longue papillote qu’il approcha du briquet. Le papier prit feu.

À cette flamme, avec une nonchalance affectée, il alluma une cigarette et, tourné vers les prisonniers, il attendit, le bras tendu, qu’il ne restât plus du document qu’un peu de cendre qui s’éparpilla au souffle de la brise.

— Regardez, Webster, regardez, Errington et Dario. Voilà tout ce que vous verrez jamais du secret de votre aïeul… un peu de cendres… C’est fini. Vraiment, avouez que vous n’avez pas été malins. Vous êtes trois bonshommes d’aplomb cependant, et vous n’avez su ni conserver le trésor qui vous attendait, ni défendre la jolie cousine que vous admiriez, bouche béante. Fichtre, nous étions six dans la petite salle du donjon, et il eût suffi que l’un de vous me mît la main au collet… Je n’en menais pas large. Au lieu de cela, quelle débâcle ! Tant pis pour vous… et tant pis pour elle !

Il leur montra son revolver.

— Je n’en aurai pas besoin, hein ? dit-il… D’ailleurs vous avez dû remarquer qu’au moindre mouvement les cordelettes vous serrent la gorge davantage. Si vous insistez, c’est l’étranglement pur et simple. À bon entendeur… Maintenant, cousine Dorothée, je suis à toi. Suis-moi. Nous allons faire l’impossible pour nous mettre d’accord.

Toute résistance était inutile. Elle l’accompagna de l’autre côté de l’esplanade, à travers un amoncellement de ruines, jusqu’à une sorte de pièce dont il ne restait que les murs, troués de meurtrières, et qu’il désigna comme l’ancienne Salle des Gardes.

— Nous serons bien là pour causer. Tes soupirants ne peuvent ni nous voir ni nous entendre. La solitude est absolue. Tiens, il y a un banc de gazon. Assieds-toi, je t’en prie.

Elle croisa les bras et resta debout, la tête droite. Il attendit, murmura : « À ta guise », et, prenant la place offerte, prononça :

— C’est notre troisième entrevue, Dorothée. La première fois, sur la terrasse de Roborey, tu as refusé mes offres, ce qui s’expliquait à la rigueur : tu ignorais la valeur exacte de mes renseignements, et je ne pouvais t’apparaître que comme un aventurier peu recommandable, contre lequel tu brûlais de partir en guerre. Sentiment très noble qui fit illusion aux cousins de Chagny, mais qui ne me trompa pas, étant donné que je connaissais le vol des boucles d’oreilles.

— En réalité, tu avais ton but : te débar-