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— Alors, réglons nos comptes. Il y en a deux. Le compte Dorothée (il eut un sourire). Celui-là, n’en parlons pas encore. Ce sera pour la fin… Et le compte des diamants. À l’heure présente, j’en serais possesseur si tu n’avais pas intercepté le document indispensable. Assez d’obstacles ! Me Delarue a confessé, le revolver sur la tempe, qu’il t’avait remis la seconde enveloppe. Donne-la moi. Sinon…

— Sinon ?

— Tant pis pour Montfaucon.

Dorothée ne tressaillit même pas. Certes, elle voyait clairement la situation où elle se trouvait et comprenait que le duel engagé était beaucoup plus sérieux que la première fois, au Manoir. Là-bas, elle attendait du secours. Ici, rien. N’importe ! Avec un tel personnage, il ne fallait pas faiblir. Le vainqueur serait celui qui garderait un sang-froid imperturbable, et finirait, à un moment quelconque, par dominer son adversaire.

— Tenir jusqu’au bout ! pensait-elle avec obstination… jusqu’au bout… et non pas jusqu’au dernier quart d’heure… mais jusqu’au dernier quart de la dernière minute…

Elle dévisagea son ennemi et, d’un ton de commandement :

— Il y a un petit ici qui souffre. Avant tout, j’ordonne que vous le délivriez.

— Oh ! oh ! dit-il avec ironie, mademoiselle ordonne, et de quel droit ?

— Du droit que me donne la certitude qu’avant peu vous serez contraint de m’obéir.

— Par qui, seigneur ?

— Par mes trois amis, Webster, Errington et Dario.

— En effet… en effet… dit-il. Ces messieurs sont de rudes gaillards habitués aux sports, et tu as bien raison de compter sur ces intrépides champions.

Il fit signe à Dorothée de le suivre, et il traversa l’arène encombrée de pierres que dessinait l’intérieur du donjon. Sur le côté, à droite d’une brèche qui formait l’entrée opposée, et derrière un rideau de lierre tendu sur les arbustes, se rangeaient les petites salles, voûtées par devant, et qui devaient être les anciennes prisons. On voyait encore des anneaux scellés aux pierres de soubassement.

Dans trois de ces cellules étaient étendus, bâillonnés solidement, liés avec des cordelettes qui les réduisaient à l’état de momies et les attachaient aux anneaux, Webster, Errington et Dario. Trois hommes, armés de fusils, les gardaient.

Dans une quatrième cellule, il y avait le cadavre du faux marquis. La cinquième contenait Me Delarue et le capitaine Montfaucon. L’enfant était enveloppé dans une couverture. Au-dessus d’un lambeau d’étoffe qui lui cachait le bas du visage, ses pauvres yeux pleins de larmes souriaient à Dorothée.

Celle-ci refoula les sanglots qui lui montaient à la gorge. Elle n’eut pas un mot de révolte, pas une injure. On aurait dit vraiment que tout cela n’était qu’incidents secondaires, qui ne pouvaient influer sur l’issue du combat.

— Eh bien, ricana d’Estreicher, que penses-tu de tes défenseurs ? Et que penses-tu de mes troupes à moi ? Trois camarades pour garder les captifs. Deux autres postés en sentinelles et qui surveillent l’horizon… Je puis être tranquille, hein ? Mais aussi, ma belle demoiselle, pourquoi les as-tu quittés ? Tu étais le trait d’union. Livrés à eux-mêmes, ils se sont fait cueillir stupidement, un à un, au débouché du donjon. Chacun d’eux a eu beau se débattre… ça n’a pas traîné. Pas l’ombre d’une égratignure pour mes hommes. J’ai eu plus de peine avec le sieur Delarue, qu’il m’a fallu gratifier d’une balle dans son chapeau pour le faire descendre d’un arbre où il avait réussi à se percher. Quant à Monfaucon, un ange de douceur !… Par conséquent, tu vois, ma petite, tes champions étant hors de cause, tu ne peux compter que sur toi-même. C’est peu.

— C’est assez, dit-elle, car le secret des diamants dépend de moi, et de moi seule. Vous allez donc défaire les liens de mes amis et délivrer l’enfant.

— Moyennant quoi ?

— Moyennant quoi je vous remettrai l’enveloppe du marquis de Beaugreval.