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les problèmes de cette histoire obscure, lui apparaissait soudain comme une femme qui ne se trompe pas, qui ne peut pas se tromper. Et, par là même, il voyait en elle une protection puissante contre les attaques qui allaient se produire.

Dorothée, elle, sentait confusément que la vérité rôdait et qu’elle était sur le point d’apercevoir en toute clarté ce qui n’avait aucune forme. Et c’est une chose qui devait l’étonner infiniment par la suite : comment ne devina-t-elle point ce qui était caché dans l’ombre ? Il semble qu’elle eut peur de le deviner, et qu’elle se détourna d’un péril, que son intelligence lui eût dénoncé si son instinct de femme ne lui avait permis de s’aveugler pendant quelques minutes.

Vraiment, ces quelques minutes, elle les perdit. Comme quelqu’un que les dangers environnent et qui ne sait auquel il lui faut d’abord se soustraire, elle piétina sur place. Elle dépensa du temps en phrases inutiles, s’attachant tout uniment aux côtés pratiques de la situation, avec l’espoir peut-être que l’une de ses paroles ferait jaillir l’étincelle.

— Maître Delarue, il y a un mort, et il y a un crime. Il nous faudra donc avertir la justice. Cependant… cependant je crois que nous pouvons différer d’un jour ou deux…

— Différer ? déclara-t-il. J’y vais de ce pas. Ce sont là de ces formalités qui ne souffrent aucun retard.

— Vous n’arriverez pas à Périac.

— Pourquoi ?

— Parce que la bande qui a pu se débarrasser sous nos yeux d’un complice qui les gênait a dû prendre ses précautions et que le chemin qui vous mène à Périac doit être gardé.

— Vous croyez ?… vous croyez ?… bredouilla Me Delarue.

— Je le crois.

Elle répondait avec hésitation. À ce moment, elle souffrait beaucoup, étant de ces êtres pour qui l’incertitude est un supplice. Elle avait l’impression profonde qu’il lui manquait un élément essentiel de la vérité. Si protégée qu’elle fût dans cette tour, auprès de quatre hommes résolus, ce n’était pas elle qui dirigeait les événements. Elle subissait la loi de l’ennemi qui l’opprimait et, en quelque sorte, la manœuvrait à sa guise.

— Mais c’est épouvantable, se lamenta maître Delarue. Voyons, je ne puis m’éterniser ici… Mon étude me réclame… J’ai une femme… des enfants…

— Partez, maître Delarue. Mais remettez-nous auparavant l’enveloppe du codicille que je vous ai rendue. Nous l’ouvrirons en votre présence.

— En avez-vous le droit ?

— Comment ! La lettre du marquis est formelle : « Dans le cas où la destinée m’aurait trahi et où vous ne trouveriez pas trace de moi, vous ouvririez vous-mêmes l’enveloppe et, connaissant la cachette, prendriez possession des diamants. » C’est clair, n’est-ce pas, on ne peut pas plus clair, et comme nous savons que le marquis est mort, et bien mort, nous avons donc le droit de prendre possession des quatre diamants, dont nous sommes propriétaires tous les cinq… tous les cinq…

Dorothée ne continua pas. Elle venait de prononcer des paroles qui, selon l’expression, juraient étrangement entre elles. La contradiction des termes employés — quatre diamants… cinq propriétaires — était si flagrante que les jeunes gens en furent frappés, et que Me Delarue lui-même, si absorbé qu’il fût par ailleurs, subit un choc…

— Mais, au fait, c’est vrai, vous êtes cinq. Comment n’avons-nous pas remarqué ce détail ? Vous êtes cinq, et il n’y a que quatre diamants.

Dario expliqua :

— Sans doute, cela provient de ce qu’il y a quatre hommes et que nous n’avons porté attention qu’à ce nombre de quatre, de quatre étrangers par opposition avec vous, mademoiselle, qui êtes Française.

— Mais la réalité est là, reprit Me Delarue ; vous êtes cinq.

— Eh bien ? dit Webster.

— Eh bien, vous êtes cinq, et le marquis, d’après la lettre, n’avait que quatre fils, auxquels il a légué quatre pièces d’or… Vous entendez, quatre pièces d’or.

Webster objecta :

— Il a pu en léguer quatre… et en laisser cinq…

Il regarda Dorothée. Elle se taisait. Allait-elle trouver dans cet incident inattendu le mot de l’énigme qui lui échappait ? Elle dit pensivement :

— À moins qu’une cinquième pièce, toute semblable, n’ait été fabriquée depuis, sur le modèle des autres, et transmise ainsi à l’un de nous, en supplément et par un procédé frauduleux.

— Comment le savoir ?

— Comparons nos pièces, dit-elle. L’examen nous renseignera peut-être.