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Les deux jeunes gens avaient appliqué leurs mains sur les deux pierres et pesaient fortement.

Dorothée plaisantait :

— Allons, un peu de nerf, s’il vous plaît, messieurs ! Les affirmations du marquis sont paroles d’évangile. Il a écrit que la pierre de droite basculerait. Que la pierre de droite bascule !

— La mienne remue, dit l’Anglais, à gauche.

— La mienne également, déclara l’Italien, à droite.

— Pas possible ? s’écria Dorothée, incrédule.

— Mais oui, mais oui, affirma l’Anglais, celle du dessus aussi, et elles s’enfoncent toutes deux par le haut.

Il n’avait pas achevé ces mots que les deux pierres, formant bloc, basculèrent à l’intérieur, et découvrirent un palier où, dans l’ombre, on apercevait quelques marches.

L’Anglais jeta un cri de triomphe.

— Ce brave gentleman n’a pas menti. Voilà l’escalier.

Ils demeurèrent un moment interdits. Non pas que l’événement fût bien extraordinaire, mais il apportait une première confirmation à ce qu’avait annoncé le marquis de Beaugreval, et ils se demandaient malgré eux si les autres prédictions ne se réaliseraient pas avec la même exactitude.

— Au cas où il y aurait vraiment cent trente-deux marches, dit Errington, je me déclare convaincu.

— Quoi ! fit Me Delarue, qui semblait, lui aussi, fort impressionné, vous oseriez prétendre que le marquis…

— Que le marquis nous attend, comme un monsieur averti de notre visite.

— Vous déraisonnez, bougonna le notaire. N’est-ce pas, mademoiselle ?

Les jeunes gens le hissèrent sur le palier. Dorothée les rejoignit. Deux lampes de poche remplacèrent les torches prévues par M. de Beaugreval, et l’on se mit à escalader les très hautes marches, qui tournaient sur elles-mêmes dans un espace très restreint.

— Quinze… seize… dix-sept… comptait Dario.

Pour se donner du cœur, Me Delarue chantait les couplets de « La tour prends garde ». Mais, à la trentième marche, il dut se reposer.

— L’ascension est rude, n’est-ce pas ? dit la jeune fille.

— Oui, oui… mais c’est surtout l’idée que nous rendons visite à un mort. Ça me coupe les jambes.

À la cinquantième marche, un trou dans le mur laissait passer la lumière. Dorothée s’y glissa et aperçut les bois de La Roche, mais une corniche avancée ne permettait pas de voir le pied du donjon.

On continua la montée. Me Delarue chantonnait, d’une voix de plus en plus chevrotante qui, à la fin, exhalait plutôt des gémissements.

Dario comptait :

— Cent… Cent dix… Cent vingt…

À cent trente-deux, il annonça :

— Un mur barre l’escalier. En cela non plus, notre aïeul n’a pas menti.

— Il y a bien trois briques incorporées dans la marche ? demanda Dorothée.

— Elles y sont.

— Et un pic de fer ?

— Le voici.

— Allons, tout est bien conforme au testament, dit-elle en achevant l’ascension et en examinant les lieux. Nous n’avons qu’à obéir à cet excellent homme.

Elle ordonna :

— Webster, démolissez le mur. Ce n’est qu’un panneau de plâtre.

Au premier choc, en effet, le mur s’écroula, démasquant une petite porte trapue.

— Crebleu, marmotta le notaire qui n’essayait plus de masquer son inquiétude, le programme s’exécute point par point.

— Ah ! ah ! fit Dorothée malicieusement, vous devenez moins sceptique, maître Delarue. Pour un peu, vous affirmeriez que la porte va s’ouvrir.

— Je l’affirme. Ce vieux fou était un mécanicien habile et un metteur en scène de premier ordre.

— Vous parlez de lui comme s’il était mort, remarqua Dorothée.

Le notaire lui saisit le bras.

— Évidemment. Car enfin, quoi, je veux bien admettre qu’il est là, mais pas vivant ! non, pas vivant !

Elle posa son pied sur l’une des briques.