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— Un hasard, n’est-ce pas ?

— Oui, fit-il. Les agents se sont trompés d’auberge et les trois domestiques se sont attardés à la fête… Il a fallu réunir tout le monde, et l’on a eu une panne d’auto.

Montfaucon accourait. Dorothée dit encore :

— Saint-Quentin, il y aura peut-être sur la médaille un nom de ville, ou plutôt un nom de château. En ce cas, renseigne-toi et dirige la roulotte d’après cette indication. Capitaine, tu as trouvé ?

— Oui, maman.

— Donne, mon chéri.

Quelle émotion Dorothée ressentit en touchant la médaille si âprement convoitée par tous, et que l’on pouvait considérer comme le plus précieux des talismans, comme la garantie même du succès.

C’était une médaille deux fois plus grande qu’une pièce de cinq francs, et surtout beaucoup plus épaisse, moins régulière qu’une médaille moderne, modelée plus grossièrement, et d’un or plus éteint, sans reflets.

Sur une des faces il y avait la devise :

« In robore fortuna »

Sur l’autre face, ces lignes :

12 juillet 1921
À midi. Devant l’horloge du Château de la Roche-Périac.

— Douze juillet, chuchota Dorothée, j’ai le temps de m’évanouir.

Elle s’évanouit.


X.

Vers la Toison d’Or


Ce n’est guère que trois jours plus tard que Dorothée surmonta l’espèce d’engourdissement physique, aggravé de fièvre, qui l’avait terrassée. Les quatre garçons donnaient alors une représentation dans la banlieue de Nantes. Montfaucon remplaçait la directrice comme grand premier rôle, spectacle de moindre saveur, mais où le Capitaine montra tant de verve cocasse que la recette fut bonne.

Saint-Quentin exigea que Dorothée prît encore deux jours de repos. À quoi bon se presser ? Le village de La Roche-Périac se trouvait tout au plus à 120 kilomètres de Nantes, ce qui permettait de ne partir que six jours avant la date.

Elle se laissait commander, gardant comme une courbature à la suite de tant d’événements contraires et d’émotions si violentes. Elle pensait beaucoup à Raoul Davernoie, mais avec de la colère et de la révolte contre les sentiments de tendresse que l’intimité de ces quelques semaines lui avait inspirés pour le jeune homme. Si étranger qu’il fût au drame où le prince d’Argonne avait trouvé la mort, il n’en était pas moins le fils de celui qui avait assisté d’Estreicher dans l’exécution du crime. Comment oublier cela ? Comment pardonner ?

La douceur du voyage apaisa la jeune fille. Sa nature ardente et heureuse eut raison des mauvais souvenirs et des fatigues passées. À mesure qu’elle approchait du but, elle retrouvait toutes ses forces, sa joie de vivre, sa gaieté d’enfant et sa volonté de mener jusqu’au bout l’œuvre entreprise.

— Saint-Quentin, disait-elle, en plaisantant, nous allons à la conquête de la Toison d’or. Te rends-tu compte de la solennité des jours qui s’écoulent ? Encore quatre… encore trois… encore deux… et la Toison d’or est à nous. Baron de Saint-Quentin, dans une quinzaine, vous serez vêtu comme un dandy.

— Et toi comme une princesse, répondait Saint-Quentin que ces perspectives de fortune, présages d’une intimité moins grande avec son amie, ne semblaient guère réjouir.

Elle pensait bien que d’autres épreuves l’attendaient, et qu’elle aurait encore des obstacles à renverser et peut-être des ennemis à combattre. Mais, pour l’instant, il y avait trêve et répit. La première partie du drame était terminée. D’autres aventures commençaient. Curieuse et pleine d’entrain, elle souriait à l’avenir mystérieux qui s’ouvrait devant elle.

Le quatrième jour, ils franchirent la Vilaine, dont ils suivirent désormais la rive droite, sur les pentes qui dominent la rivière. C’était un pays assez ingrat, peu habité, où ils avançaient lentement sous un soleil de feu qui accablait Pie-Borgne.

Enfin, le lendemain, onze juillet, ils virent sur un poteau :

« La Roche-Périac, vingt kilomètres. »

— Nous y coucherons ce soir, déclara Dorothée.

Étape pénible… La chaleur était suffocante. En route, ils recueillirent un chemineau qui gémissait sur l’herbe poussiéreuse. Une femme et un enfant au pied tordu marchaient à cent mètres devant eux, sans que Pie-Borgne pût les rattraper.