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de toute sa volonté et, au lieu de reprendre sa victime, il la questionna :

— Le disque est vide, soit. Mais tu sais où est la médaille ?

— Parbleu ! fit Dorothée, qui ne pensait qu’à gagner du temps, et dont le regard furtif interrogeait le faîte du mur.

Les yeux de l’homme brillèrent.

— Ah ! tu sais… Quelle imprudence de m’avouer cela ! Du moment que tu sais, tu vas parler, ma petite. Sinon…

Il tira son revolver.

Elle plaisanta :

— Comme avec Juliette Assire, n’est-ce pas ? Vous comptez jusqu’à vingt. Pas la peine, ça ne prend pas.

— Je te jure, crebleu…

— Des mots !

Non, décidément, la bataille n’était pas perdue. Dorothée, quoique épuisée, la figure en sang, se cramponnait à tous les incidents possibles avec une énergie farouche. Elle sentait bien que d’Estreicher, dans sa fureur, était capable de la tuer. Mais elle sentait aussi très nettement son désarroi et toute sa domination sur lui. Il n’avait pas le courage de partir et d’abandonner cette médaille fatidique pour laquelle il avait lutté si désespérément. Que son hésitation durât quelques minutes encore, et Raoul ne pouvait manquer d’apparaître !

À ce moment, il se produisit un incident qui parut intéresser la jeune fille au plus haut point, car elle se pencha pour mieux suivre la scène. Le vieux baron sortit du manoir, portant une valise et vêtu, non pas, comme à l’ordinaire, d’une blouse, mais d’un veston de drap, et coiffé d’un chapeau de feutre. Cela prouvait de sa part un choix, c’est-à-dire un effort de pensée. Il y en eut un autre. Goliath n’était pas avec lui. Il l’attendit, frappa du pied, et quand le chien apparut, il le saisit au collier, s’orienta, et se dirigea vers le portail.

Les complices lui barrant la route, il marmotta quelques grognements et voulut passer. On le repoussa, il se mit en colère et, à la fin, s’éloigna parmi les arbres, sans lâcher Goliath, mais en abandonnant la valise.

Son manège était facile à comprendre, et Dorothée, comme d’Estreicher, se rendait bien compte que le bonhomme avait voulu s’en aller à la conquête du trésor. Malgré sa folie, il n’avait pas oublié l’aventure. La date solennelle s’imposait à lui, et, au jour qu’il s’était fixé, il bouclait sa valise et se mettait en route comme une mécanique qu’on a remontée et qui se déclenche à l’heure dite.

D’Estreicher appela ses complices et leur cria :

— Fouillez ses affaires.

Et comme on ne trouvait rien, aucune médaille, aucune indication, il se promena un instant devant Dorothée, indécis sur la conduite à tenir, et enfin s’approcha d’elle.

— Réponds-moi. Raoul t’aime. Toi pas. Sans quoi j’aurais mis le holà à votre petit flirt, depuis quinze jours. Mais tout de même, tu as des scrupules à son égard en ce qui concerne la médaille et le trésor, et vous avez partie liée. Bêtises, ma petite, et je vais te mettre à l’aise, car il y a une chose que tu ignores et qu’il faut que je te révèle. Après quoi tu parleras, j’en suis sûr. Donc, réponds. Cette médaille, cela doit t’étonner que je la cherche, puisque, d’après ce que tu sais, je l’aurais dérobée à ton père. Que supposes-tu ?

— Je suppose qu’elle vous a été reprise.

— En effet. Mais sais-tu par qui ?

— Non.

— Par le père de Raoul, par Georges Davernoie.

Elle tressaillit et riposta :

— Vous mentez.

— Je ne mens pas, affirma-t-il fortement. Tu te rappelles la dernière lettre de ton père, que notre cousin Chagny nous a lue à Roborey ? Le prince d’Argonne racontait sa nuit d’hôpital, la nuit où il entendit deux hommes qui parlaient sous sa fenêtre, où il vit une main qui se glissait vers la table et qui subtilisait la médaille. Or, l’homme qui attendait en bas et qui avait accompagné l’autre dans son expédition, c’était Georges Davernoie. Et ce coquin-là, Dorothée, la nuit même qui suivit, dépouillait son camarade.

Dorothée fut secouée d’indignation et de révolte.

— Mensonge ! Le père de Raoul ! Lui, faire ce métier ? Lui, un voleur ?

— Mieux que cela, Dorothée. Car l’expédition n’avait pas pour but seulement un vol… et si celui des deux hommes qui a versé le poison et dont le prince d’Argonne a vu le bras tatoué, ne renie pas ses actes, il n’oublie pas que c’est l’autre qui a fourni le poison.

— Vous mentez ! vous mentez ! c’est vous le seul coupable ! C’est par vous seul que mon père a été tué !