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— Un monsieur qui recevait une dalle sur la tête.

— Parfaitement. Et je le répète : c’est très fort à vous de chercher à les identifier l’un à l’autre. Très fort… et très dangereux.

— Dangereux en quoi ?

— En ce sens que toute attaque entraîne une riposte.

— Je n’ai pas encore attaqué. Mais j’ai voulu montrer que j’étais prête à tout.

— Même à m’attribuer le vol de ces deux boucles d’oreilles ?

— Peut-être.

— Oh ! oh ! il faut donc que je me hâte de prouver qu’elles sont entre vos mains ?

— Hâtez-vous.

Une fois encore il s’arrêta au seuil de la porte et dit :

— Nous sommes donc ennemis ?

— Nous sommes ennemis.

— Pourquoi ? vous ne me connaissez pas.

— Je n’ai pas besoin de vous connaître pour savoir qui vous êtes.

— Comment, ce que je suis ? Je suis le chevalier Maxime d’Estreicher.

— Possible. Mais vous êtes aussi le monsieur qui, furtivement, à l’insu de ses cousins, cherche… ce qu’il n’a pas le droit de chercher. Dans quel but, sinon pour le dérober ?

— Et cela vous regarde ?

— Oui.

— À quel titre ?

— Vous ne tarderez pas à le savoir.

Il eut un geste. Colère ou mépris ? Mais il se contint et mâchonna :

— Tant pis pour vous, et tant pis pour Saint-Quentin. À tout à l’heure.

Sans un mot de plus, il salua et se retira.


Chose bizarre, dans cette sorte de duel brutal et violent, Dorothée avait gardé un tel sang-froid que, la porte à peine refermée, obéissant à ses instincts de gaminerie, elle lança un pied de nez et fit quelques pirouettes. Puis, contente d’elle-même et des événements, elle ouvrit une vitrine, prit un flacon de sels et s’approcha de Saint-Quentin, qui gisait au fond de sa bergère.

— Respire, mon vieux.

Il renifla, se mit à éternuer et bredouilla :

— Nous sommes perdus.

— Tu en as de bonnes, Saint-Quentin. Pourquoi veux-tu que nous soyons perdus ?

— Il va nous dénoncer.

— Certes, il va aiguiller les recherches contre nous. Mais nous dénoncer, dire ce qu’il a vu ce matin, il n’osera pas. Sinon, je dis, moi, ce que j’ai vu.

— Tout de même, Dorothée, ce n’était pas la peine de révéler la disparition des bijoux.

— On aurait toujours bien fini par s’en apercevoir. Le fait d’en parler la première détourne les soupçons.

— On les attire sur nous, Dorothée.

— En ce cas, j’accuse le gentilhomme barbu.

— Il faut des preuves.

— J’en aurai.

— Comme tu le détestes !

— Non, mais je veux le perdre. C’est un homme dangereux, Saint-Quentin. J’en ai l’intuition, et tu sais que je ne me trompe guère. Il a tous les vices. Il est capable de tout. Il trahit ses cousins de Chagny. Je veux les en débarrasser par n’importe quel moyen.

Saint-Quentin essaya de se rassurer.

— Tu es étonnante. Tu combines, tu calcules, tu agis, tu prévois. On sent que tu te diriges d’après un plan.

— D’après rien du tout, mon garçon. Je marche à l’aventure, et je me décide au petit bonheur.

— Cependant…

— J’ai un but précis, voilà tout. Quatre personnes sont en face de moi, qui, cela n’est pas douteux, sont réunies par un secret commun. Or, le mot de « Roborey », prononcé par mon père en mourant, me donne le droit de rechercher si lui-même ne faisait pas partie de ce groupe, et si, en conséquence, sa fille n’est pas qualifiée pour prendre sa place. Jusqu’ici, les quatre personnes se tiennent les coudes et me repoussent. J’ai beau tenter l’impossible pour obtenir leur confiance d’abord, et ensuite leurs confidences, je n’aboutis à rien. Mais je réussirai.

Elle frappa du pied, avec une brusquerie où s’affirmaient soudain toute l’énergie et toute la décision qui animaient cette souriante et mignonne créature, et elle répéta :

— Je réussirai, Saint-Quentin, je te le jure. Je ne suis pas au bout de mes révélations, et il y en a une qui les décidera peut-être à plus d’abandon.

— Laquelle, Dorothée ?

— Je m’entends, mon garçon.

Elle se tut. Son regard s’en allait par la fenêtre ouverte près de laquelle Castor